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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 1.900 articles.

Lutetia de Pierre Assouline...

Si je partais sans me retourner,
je me perdrais bientôt de vue.
Jean Tardieu. Obscurité du jour.

A quoi reconnait-on un bon roman ?

Aux larmes qui vous montent aux yeux quand on le ferme.

Lutetia de Pierre Assouline est de ceux-là.

J'ai choisi, pour vous en parler, la critique du brillant Michel Grisolia dans L'Express du 31 janvier 2005.

Rien à ajouter...

Ah si, Assouline, en un clin d'oeil au Maître Simenon et à son Maigret, fait naitre son héros, l'alsacien Edouard Kiefer, d'un père régisseur dans un château (Cheverny).

Sans oublier le clin d'oeil à Hergé puisque Cheverny, c'est Moulinsart, et que Maximilien Roche, petit héros du livre, porte perpétuellement avec lui "Le trésor de Rackham Le Rouge".

Et oui, sachez-le, Pierre Assouline est aussi l'auteur des biographies incontournables de Simenon et d'Hergé.

Un roman avec la gorge qui se serre, car Lutetia, c'est LE livre sur le retour des déportés au printemps/été 1945 dans le seul palace de Paris Rive Gauche.

Tout un monde de souvenirs et de larmes.

 

Liliane Langellier

 

 

 

Tempête sur le Lutetia

Pour raconter l'histoire du palace parisien entre 1938 et 1945, Pierre Assouline a pris pour guide le détective qui en connaît tous les secrets. Magistral.

S'il avait été un paquebot, le Lutetia eût ressemblé au Titanic voguant vers la catastrophe dans un sillage de parfum, de champagne et d'insouciance. Femme, Lutetia eût été, pendant la guerre, séductrice à deux visages, aristo et secrétaire, souris grise et résistante. Mais Lutetia est un palace, le seul de la rive gauche. L'homme qui en détient les clefs s'appelle Pierre Assouline. Biographe d'Hergé, d'Albert Londres et de Simenon, Assouline a retenu la leçon de ces géants: n'adopter qu'un seul point de vue. Sa réussite est magistrale. 

Elle le doit d'abord au choix du narrateur. Attachant, cet Edouard Kiefer, alsacien, bilingue, célibataire et - c'est capital - protestant. Ancien flic, il est devenu le détective de l'hôtel. Nul recoin de l'établissement n'a de secret pour cet homme au regard chaleureux, attentif, dépourvu de complaisance. Nous le suivons du bar à la brasserie, du salon de thé-pâtisserie du sous-sol jusque sur les toits où, avant qu'on assiste aux premiers bombardements sur Paris, on sert, l'été, des soupers fins. Epris depuis l'enfance de la comtesse Clary, habituée des lieux, le privé découvrira sur elle des choses qu'il ignorait, et sur lui-même des choses qu'il eût préféré ne pas savoir: sa lâcheté devant l'engagement. L'ambiguïté du personnage, qui finit par aider, presque à son corps défendant, la Résistance, fait la force du livre, au même titre que les oscillations du navire Lutetia lui-même, ballotté du déshonneur au rachat par les vents contraires de l'Histoire. 

Réquisitionné par l'Abwehr, le contre-espionnage allemand, l'hôtel se change en effet, lors de la Libération, en centre d'accueil des déportés. Nous y aurons croisé sous les lustres Lalique des trafiquants et des canailles, dont le tristement célèbre Joanovici, marchand de ferraille; des écrivains ayant ici leur résidence, Albert Cohen ou James Joyce et son secrétaire Samuel Beckett; des fantômes, surtout, retour des camps, figures inoubliables et bouleversantes de ce vaste roman-monde en huis clos, théâtre des plus sombres tragédies. 

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