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Chez Jeannette Fleurs

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L’incroyable histoire de la « Marianne noire »

En 1848, année de l’abolition de l’esclavage, la maçonnerie toulousaine commande une statue de Marianne, symbole de la République, sous les traits d’une esclave affranchie. Après des décennies d’oubli, l’original est exposé au Musée de la Résistance de la Ville rose et une copie, au Musée de la franc-maçonnerie du Grand Orient de France, à Paris.

C’est un buste imposant, quelque 90 kg et près de 1,20 mètre de hauteur, en plâtre et lait de chaux, peint en bronze. Une Marianne noire baptisée « Liberté », traits africains, cheveux longs, ceinture d’esclave. L’original est exposé depuis l’automne à Toulouse, au Musée de la Résistance et de la Déportation, Luttes et Citoyenneté. Une copie va aussi être envoyée au Musée Victor-Schœlcher à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, qui abrite les collections du journaliste et homme politique – franc-maçon –, auteur du décret d’abolition de l’esclavage du 27 avril 1848. Une autre reproduction vient d’être inaugurée au Musée de la franc-maçonnerie du Grand Orient de France, rue Cadet, dans le 9e arrondissement de Paris.

Son histoire est encore largement méconnue. La jeune femme est ornée de multiples symboles : bonnet phrygien, emblème de la République, peau et tête de lion sur l’épaule droite, caractéristique de la force, ceinture en métal ornée d’une pyramide inca et de motifs floraux, corsage avec une étoile à six branches, l’hexagramme franc-maçon. Le bas-relief de son socle est truffé, lui aussi, de références maçonniques, comme un éléphant d’Asie – grade de compagnon – ou le temple de Jérusalem.

Une esclave affranchie

La statue aurait vu le jour bien avant la vogue des « Marianne » de la IIIe République qui, à partir des années 1870, vont peu à peu envahir toutes les mairies de France. Dès la Révolution, en 1792, le prénom Marianne apparaît dans les chansons populaires. Paris se dote de deux statues de la République, la première place de la Révolution (devenue place de la Concorde), l’autre sur la place des Piques, aujourd’hui place Vendôme. Après la monarchie de Juillet, l’éphémère Seconde République (1848-1852) voit elle aussi resurgir des « Marianne ». Figures peintes, statues, médailles, les cheveux détachés et la poitrine dénudée, ou sagement coiffée et habillée… L’épouse du poète et homme politique, Alphonse de Lamartine, en personne, pose pour un buste.

C’est dans ce contexte que serait née la « Marianne noire ». La Seconde République est notamment restée dans l’histoire pour avoir aboli une seconde fois l’esclavage en France − après une première abolition sous la Révolution en 1794, il avait été rétabli par le Premier consul Bonaparte en 1802. Et pour avoir été largement influencée par les hommes et les idées de la maçonnerie. Le gouvernement provisoire de février 1848 compte ainsi cinq francs-maçons sur onze membres. Les loges de Toulouse auraient alors commandé une sculpture à un artiste réputé de la ville, sans doute Bernard Griffoul-Dorval, proche des idées du socialiste, utopique et abolitionniste, Charles Fourier.

C’est lui qui aurait décidé de représenter la République sous les traits d’une esclave affranchie. Mais personne ne sait quel modèle l’a inspiré. La « Marianne noire » est aussitôt installée dans une salle du temple maçonnique de la rue de l’Orient, qui sera saccagé pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle est notée en 1941, dans un inventaire du Comité d’investigation et d’enquêtes du régime de Vichy, puis récupérée et enterrée par des résistants dans un terrain du quartier du Faubourg-Bonnefoy, devenu le jardin Michelet, jusqu’à la Libération… avant de disparaître.

« Un travail énorme »

La statue ne refait surface qu’une trentaine d’années plus tard. En 1971, le conseil général de Haute-Garonne, puis le Musée de la Résistance la récupèrent. Les registres indiquent : « Don de la Grande Maçonnerie Toulousaine ». Mais il faut encore attendre quatre autres décennies pour qu’elle soit « présentable ». De novembre 2019 à janvier 2020, deux mois durant, la restauratrice d’œuvres sculptées Magali Brunet (également chercheuse au CNRS en science des matériaux du patrimoine) lui redonne vie :

« La statue est très impressionnante. Sa taille est imposante, elle n’a pas d’orbites, mais des trous à la place des yeux, qui vous fixent de haut. »

Il lui a fallu nettoyer et refixer la peinture, atténuer le contraste entre le plâtre et la couleur bronze, « un travail énorme ».

La « Marianne noire » a un trou au niveau de la poitrine. Certains ont presque espéré qu’il s’agisse d’un impact de balle, reçu pendant la Seconde Guerre mondiale. « Cela aurait été une nouvelle aventure dans cette histoire incroyable », conclut la restauratrice. La police scientifique de Toulouse est même venue faire une expertise balistique. Il est plus probable que cet orifice soit les conséquences d’un acte de vandalisme ou l’emplacement d’un bijou, tombé dans l’oubli.

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