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Chez Jeannette Fleurs

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Norman Rosten, poète et dernier confident de Marilyn Monroe...

« Essayons de vivre avant de commencer à vieillir ! »

Dans « Marilyn, ombre et lumière », Norman Rosten raconte son amitié avec la star disparue il y a soixante ans. Un livre délicat comme une aquarelle.

La chronique de Jérôme Garcin

Le 4 août prochain sera célébré le 60e anniversaire de la mort, à 36 ans, de Marilyn Monroe. Et, déjà, les grands mots – c’était la « star matricielle », a lâché Isabelle Adjani à la télé – et les scoops : « Paris Match » aurait identifié, à partir des cheveux de Norma Jean, son père biologique, un « assez beau mec ». Lisez plutôt, du poète et romancier américain Norman Rosten (1913-1995), « Marilyn, ombre et lumière » (Seghers, 16 euros). Ce petit livre, délicat comme une aquarelle, merveille de simplicité et modèle d’honnêteté, ne contient ni épithètes pompeuses ni révélations tapageuses. Et son auteur, qui fut pourtant l’ami attentionné de Marilyn durant les sept dernières années de sa courte vie, ne s’avantage jamais.

La première fois qu’il la vit, elle n’était pas maquillée et avait les cheveux trempés. A elle et au photographe qui l’accompagnait sous la pluie, lui et sa femme Hedda avaient offert l’abri provisoire de leur appartement new-yorkais. Lorsqu’il l’aperçut en haut des escaliers, il lui trouva l’air d’une « jolie étudiante allant faire une course ». L’actrice de « Rivière sans retour » l’était un peu : elle prenait alors des cours à l’Actors Studio.

« Essayons de vivre avant de commencer à vieillir ! »

Après, il y eut des fêtes, des week-ends, des vacances, la cuisine et la vaisselle en commun. La vie, quoi. Marilyn « paraissait faire partie de la famille ». Elle lisait avec émotion les poèmes de Norman et lui envoyait les siens. Elle lui confiait qu’elle mourait d’envie d’être mère, il accourait à l’hôpital où elle était emmenée après une fausse couche ou une tentative de suicide. Les hommes passaient, ici Arthur Miller et Yves Montand, elle restait seule. Elle téléphonait au milieu de la nuit, s’excusait de l’avoir réveillé, riait comme une enfant, pleurait de désespoir quand elle traversait « le détroit de la Désolation ». « Trop de choses, écrit joliment son confident, se passaient en elle. »

Un jour, sur le rebord d’une fenêtre, Norman et Marilyn firent un pacte : « Si l’un de nous était sur le point de faire le grand saut, ou d’ouvrir le gaz, ou de se pendre, ou d’avaler des somnifères, il ou elle appellerait l’autre ». Le 3 août 1962, veille de sa mort, elle lui téléphona, d’une voix trop enjouée : « Essayons de vivre avant de commencer à vieillir ! » C’était, en vérité, un appel à l’aide. C’était leur pacte, mais trafiqué. Norman Rosten s’en est voulu de n’avoir pas su déchiffrer l’ultime supplique de Marilyn. Alors, il a écrit ce livre tendre et familier pour la rendre à la vie.

 

Qui savait que Marilyn Monroe était poétesse à ses heures perdues ? Norman Rosten a longtemps été le seul lecteur des petits textes écrits par l'actrice. Il était aussi son confident, son ami et celui qui l'a vue se faner petit à petit. Dans Marilyn, ombre et lumière, réédité en français par les éditions Seghers, il raconte les sept années qu'il a passées au côté de l'icône du XXème siècle. 

Ce jour de 1955, il pleuvait sur Brooklyn. Surpris par l’averse alors qu’il se promenait, le photographe Sam Shaw appelle son ami, le poète Norman Rosten, pour savoir s’il peut venir s’abriter chez lui. L’occasion de discuter, de prendre un café, dit-il. Il précise qu’il n’est pas seul, mais avec une jeune fille, que Rosten imagine être l’un de ses modèles. Elle arrive trempée comme une soupe, enveloppée dans un manteau en poils de chameau, les cheveux mouillés, coupés courts, et sans maquillage. Elle est méconnaissable. Sam Shaw marmonne son prénom : Rosten et son épouse, Hedda, comprennent « Marion »… La jeune fille est jolie, mais un peu timide. Ou peut-être rêveuse. Plutôt que de faire la conversation, elle se plonge dans un livre posé sur la table du salon. Songs for Patricia, écrit par Norman Rosten justement. Hedda lui pose tout de même quelques questions. 

« - Je ne suis pas de New York, je suis ici depuis un mois environ, explique l’inconnue. J’étudie à l’Actors Studio. 

- C’est merveilleux. Vous avez déjà dû jouer au théâtre. Dans quelles pièces ? 

- Non, je n’ai jamais joué sur une scène. Mais j’ai fait quelques films.

- Oh ! Quel est votre nom de cinéma ? »

L’inconnue s’arrête un instant et murmure : « Marilyn Monroe… » Stupeur ! Comment avaient-ils pu ne pas reconnaître la plus grande star du moment ? Sept ans de réflexion venait de sortir sur les écrans, et était un énorme succès.

Quelques jours après cette rencontre, Norman Rosten reçoit une lettre signée « Marilyn M. » : « Cher Norman, cela semble un peu drôle d’écrire le mot “Norman” puisque je m’appelle aussi Norma, et on dirait presque que j’écris mon propre nom… » Elle lui raconte qu’elle a passé son dimanche à lire Songs of Patricia, et qu’elle a adoré. D’ailleurs, elle aussi écrit parfois des poèmes, surtout quand elle est déprimée. Elle lui en enverra quelques-uns pour qu’il lui donne son avis. « Penses-tu que c’est de la poésie ? », l’interroge-t-elle fébrilement. Elle est douée mais ne le sait pas. Ses mots sont doux, parfois un peu naïfs, mais superbes.

Marilyn Monroe chez elle à Los Angeles, en 1952EARL THEISEN/GETTY IMAGES

Marilyn ne quitte plus Norman et son épouse, la chaleureuse Hedda, à laquelle elle ouvre son cœur comme à personne d’autre. Dîners à Manhattan, week-ends à la campagne, ils partent même en vacances ensemble. L’écrivain est toujours impressionné par la frénésie qui entoure continuellement l’actrice. Le moindre de ses déplacements provoque d’incontrôlables cohues. Un jour d’été, sur une plage pourtant secrète de Long Island, elle est poursuivie par un essaim de fans, qui veulent la toucher et l’embrasser, jusque dans l’eau, et manque de se noyer. Heureusement, Rosten l’aide à nager jusqu’à un canot. « Ce fut la seule fois où j’eus la chance de lui sauver la vie », écrit-il.

Il n’arrivera pas à la secourir des autres dangers, trop intimes, trop profonds. En 1962, Marilyn Monroe n’a que trente-six ans mais n’a pas plus de force qu’une vieille dame. Norman la voit sombrer dans une mélancolie que rien ne peut soigner. La veille de sa mort, elle lui téléphone, joyeuse et agitée. Elle parle de sa nouvelle interview dans Life, de son prochain tournage, d’un gala auquel elle doit assister et d’une comédie musicale qu’elle voudrait voir… Mais elle n’évoque pas l’essentiel. « Elle parlait sans s’arrêter. Il y avait un message codé derrière ces phrases, et je n’arrivais pas à le déchiffrer. Le message, c’était : à l’aide ! Et elle continuait à bavarder », racontera-t-il plus tard.

Marilyn côté coulisses, en 1953BETTMANN

 

Le souvenir de Marilyn ne quittera jamais Norman Rosten. Il écrira le livret de l’opéra Marilyn d’Ezra Laderman, et aussi une biographie, parue pour la première fois sous le titre Marilyn : an untold story en 1973, aujourd’hui réédité en France aux éditions Seghers. Un témoignage précieux, délicat, juste et tendre, qui donne à voir la star hollywoodienne sous un jour inédit. Aussi, on peut y lire des fragments de poèmes composés par Marilyn Monroe. Comme celui-ci : « Plus ténue qu’un fil de toile d’araignée/Plus pure qu’aucun/Mais elle s’est attachée elle-même/Et a tenu bon dans le vent des tempêtes./Et a été roussie par des feux bondissants et brûlants./Vie - en des moments étranges je suis tes deux directions/Tant bien que mal je reste suspendue, attirée vers le vide/Alors que tes deux directions m’attirent. »

Marilyn, ombre et lumière, de Norman Rosten, traduit par François Guérif, éditions Seghers, en librairies dès le 8 avril...

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