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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

CARTE BLANCHE - Eric Fottorino : "Et revoilà les chars russes..."

Invité de l'émission "Boomerang" d'Augustin Trapenard à l'occasion de la publication de "La Pêche du jour", son roman sur les migrants qui périssent en Méditerranée et interrogent notre humanité. Pour sa carte blanche, le journaliste a lu un texte sur la guerre en Ukraine.

 

Eric Fottorino : "Je ne vais pas vous parler d'Ukraine, un mot qui commence comme "uchronie" et qui finit par "haine", comme si la haine devait finir.

Je ne vais pas vous parler d'Ukraine, car il faudrait dire ces mots qui heurtent le silence : la bonne ou la mauvaise "conscience", "guerre", "invasion", "agression", "bombardements", "frappes chirurgicales"... Tiens-donc sur des hôpitaux, sur des malades, sur des enfants brandissant des panneaux "Stop the war". 

 

Il faudrait dire la superbe impuissance des supers puissances, notre paralysie, les bras désarmés de l'Occident, car ni l'OTAN, ni l'Europe, ni l'Amérique n'ont mandat pour sauver l'Ukraine, et encore moins les Ukrainiens.

Alors pas question dans ces deux minutes chrono de vous parler d'Ukraine qui rime avec "sirène", qui rime avec "peine", avec "obscène". 

Il faudrait sinon regarder en face le passé qui fracasse le présent : colonnes de chars, peur qu'il soit trop tard, oukase du Kremlin qui de l'Ukraine veut faire son écrin, corps de civils sans vie ensevelis dans la neige immaculée, froid des tranchées... 

Images d'un autre âge ; images d'un outrage

Ce matin, la terre n'est pas bleue comme une orange, le fond de l'air a des reflets nucléaires et un Gogol aux yeux vitreux voudrait changer Marioupol en milliers d'âmes mortes.

Alors, plutôt parler du printemps qui vient doucement. Mais ce mot de printemps a un petit air de Prague, vous ne trouvez pas ? Et revoilà les chars russes. Et revoilà l'Ukraine, tel le sparadrap du capitaine Haddock. 

Nous voilà dans de beaux draps. Rien ne va plus. Ma vision se trouble. 

Tout à l'heure, marchant jusqu'à vous d'un pas tranquille, Augustin, j'ai vu la tour Eiffel, les quatre fers en l'air et la Maison ronde de la radio qui ne tournait plus très rond. Mauvaises ondes. Fallait-il que jusqu'ici, sous le Pont Mirabeau, coule la haine ? 

Cette fois, c'est promis, je ne vous parlerai pas d'Ukraine, croyez-moi sur parole. 

C'est vrai, ça craint, l'Ukraine. Rien qui craigne plus que l'Ukraine. J'en ai même entendu qui prononçaient "Ucraigne". 

Mais voilà que le sablier a mitraillé ma carte blanche. Blanc comme neige, maculée du sang des innocents et l'Ukraine, que je m'étais juré d'éloigner de ce micro, me revient en pleine tête comme un boomerang."

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