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17 Mars 2022
L’actrice au destin tragique, disparue il y a quarante ans, se voit consacrer une grande rétrospective à la Cinémathèque française, à Paris. Passionnante, jusque dans ses manquements. À découvrir jusqu’au 31 juillet.
L’événement est de taille : la première exposition proposée par la Cinémathèque française sur une interprète. Sans aucun doute, Romy Schneider était idéale pour ouvrir le bal des actrices (après que Louis de Funès l’a fait pour ces messieurs en 2021), tant, quarante ans après sa disparition, elle reste intensément populaire et admirée par les cinéphiles et les sentimentaux du septième art. La commissaire de l’exposition, Clémentine Deroudille (déjà à l’œuvre, entre autres, sur l’exposition Barbara à la Philharmonie de Paris en 2017 et au musée… Louis-de-Funès à Saint-Raphaël), a tenu à privilégier le stupéfiant travail d’incarnation de Romy à l’écran et comment celui-ci résonna avec son temps, tendu par une fièvre particulière de jouer et de se perfectionner de film en film, aux côtés de cinéastes français mais aussi européens et américains.
La scénographie en « zigzag » propose ainsi un parcours thématique qui, par endroits, s’affranchit de la chronologie pour offrir des moments culminants, comme ce cœur d’expo, ce centre névralgique, consacré à ses collaborations avec Claude Sautet. Largement détaillées par des photos et des documents rares – scénarios annotés par le scénariste Jean-Loup Dabadie, notes de service de tournage, petits mots griffonnés par l’actrice pour « Clo », son réalisateur ami –, elles prennent vie sur un écran de projection, en une bouleversante boucle d’extraits de tous leurs films, où Romy irradie, à jamais, de modernité et de charme dans la peau d’Hélène (Les Choses de la vie), de Rosalie (César et Rosalie), de Marie (Une histoire simple)…
Comme un exorcisme
Magnifique idée, aussi, que cette installation qui met en regard, en abyme, l’univers des Sissi (avec une reproduction de la perruque de 6 kilos, lourde avalanche de boucles, utilisée pour les films d’Ernst Marischka) avec celui, plus sombre, de Ludwig ou le Crépuscule des dieux, de Luchino Visconti, bien des années plus tard, qui lui offrait l’occasion d’incarner, à nouveau, Élisabeth d’Autriche, en piétinant toute ancienne mièvrerie.
Dès l’entrée, Romy nous regarde, et, à chaque bifurcation, grâce à de très beaux panneaux de photos agrandies, elle plongera ses yeux dans les nôtres. Troublante et touchante impression de sa présence : cette exposition n’est pas un mausolée mais une promenade avec la femme et l’actrice où elle semble réclamer notre adhésion, notre complicité – « Me comprends-tu ? Ne m’oublie pas ! ». Mais cette empathie, intelligemment convoquée lors de l’hommage à son talent et à ses exigences, a, aussi, son léger revers : comme par peur de blesser Romy, et par volonté, certes louable, de casser une image névrosée et funeste, la visite choisit, trop souvent, l’ellipse. Le rapport de Romy à l’histoire autrichienne et allemande et à la Seconde Guerre mondiale se voit réduite à son versant cinématographique – une salle sur les films (Le Train, Le Vieux Fusil, Portrait de groupe avec dame…) qu’elle tourna en guise d’exorcisme. Et ses drames personnels se retrouvent discrètement cités, entre deux virgules, dans de petits cartons explicatifs, qui accusent certains attendus sur la liberté féminine et le rapport au corps, transposables à toute actrice hautement photogénique…
D’une beauté plastique accordée à son sujet, l’hommage, foisonnant d’images et d’objets jusqu’à la période Sautet (avec une éclatante étape dans la période américaine, Woody Allen compris), devient, ainsi, un peu plus fourre-tout vers la fin : comme embarrassé par le malheur, il regroupe, sans conscience cinéphile, certains films comme étant les « derniers », de Zulawski (L’important c’est d’aimer) à Costa-Gavras (Clair de femme), alors que La Passante du Sans-Souci, si symbolique, a occupé un mur de la pièce précédente.
En fait, cette exposition s’avère passionnante dans sa tendre et lumineuse vénération pour son sujet, mais aussi, paradoxalement, par ses manquements. Car comment redonner vie à une telle femme et actrice sans concession en diluant ses tragédies et leur incidence ? Une photo semble, inconsciemment, poser la problématique : c’est un tirage rare de Romy, en 1958, lors de son premier voyage de jeune star à New York. Accoudée à une fenêtre, elle contemple la Grosse Pomme d’en haut, et l’on pense à un autre cliché, de Marilyn Monroe, penchée de la même manière sur la ville. Romy-Marilyn : la comparaison s’invite dans les fragilités, les farouches volontés d’interprète, la photogénie surnaturelle, et les malédictions. Mais cette exposition très incarnée a donc choisi : renoncer à la légende et ses drames pour enluminer les choses d’une vie de cinéma.
À la Cinémathèque, une exposition pour effleurer le mythe Romy Schneider
L'actrice au destin tragique, disparue il y a quarante ans, se voit consacrer une grande rétrospective à la Cinémathèque française, à Paris. Passionnante, jusque dans ses manquements. À déc...
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