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20 Juillet 2021
L'article de Pierre de Gasquet publié dans Les Echos du 12 janvier 2018.
Le quatrième tome de la saga napolitaine d'Elena Ferrante sort le 18 janvier en France chez Gallimard. Six ans après «L'Amie prodigieuse», le doute subsiste sur l'identité réelle de l'auteur de ce succès d'édition hors norme, qui affiche 10 millions d'exemplaires dans le monde. Enquête sur les racines de la «folie Ferrante», ou comment un bon roman populaire s'est transformé en phénomène littéraire planétaire grâce à l'appui de quelques relais américains décisifs.
Une femme sans tête dans une robe rouge: sur les murs, trône l'affiche de L'Amore molesto, le film adapté en 1995 du premier roman d'Elena Ferrante. Son réalisateur, qui a pressenti, le premier, le potentiel de l'écrivaine italienne la plus recherchée du moment, nous attend dans son petit bureau bourré d'archives, au coeur du quartier populaire de l'Esquilino, près de la Stazione Termini, à Rome. À 58 ans, Mario Martone est un cinéaste accompli mais toujours insatiable. Dans la foulée de la mise en scène d'Andrea Chénier, l'opéra d'Umberto Giordano, pour l'ouverture de la Scala, à Milan, il termine le montage de son dernier film, Capri Batterie. Pour ce cinéaste napolitain dans l'âme qui aurait volontiers signé la série télévisée en préparation tirée de la saga «L'Amie prodigieuse», la question de l'identité d'Elena Ferrante est secondaire, et son talent indubitable.
«Le mystère de l'identité d'Elena Ferrante réside dans ce qu'elle écrit, confie le cinéaste. Il est lié à la dimension physique de ses romans, de son écriture. À la forte identité des lieux. Pour un Napolitain, le rapport avec Naples est bouleversant: c'est comme si les murs parlaient», ajoute le cinéaste, dont le dernier film raconte la mort de l'écrivain Giacomo Leopardi à Naples. Mario Martone est l'une des rares personnes à avoir noué une correspondance avec la «vraie» Elena Ferrante, dès 1994. Tout comme Roberto Faenza, qui a fait un film du deuxième roman de l'énigmatique écrivaine, Les Jours de mon abandon, il affirme ne l'avoir jamais rencontrée. Pour lui, une des clefs du mystère Ferrante se niche dans un petit roman inédit en France de Domenico Starnone, Autobiographie érotique d'Aristide Gambia, paru en 2011 chez Einaudi. Le livre raconte la vie d'un homme de 58 ans, qui a un métier intéressant, trois mariages ratés, quatre enfants et une vie sexuelle intense. Il reçoit une lettre d'une femme avec laquelle il a eu une aventure fugace et ils décident de se raconter à travers un jeu à la foi impudique et très sérieux. Mario Martone n'en dira pas plus. C'est déjà trop. Dans le dernier chapitre de ce livre, Domenico Starnone écrit: «Je ne suis pas la Ferrante.» Et pourtant...
Et si cette femme était un homme
Le 2 octobre 2016, après avoir épluché les comptes de son éditeur, Edizioni E/O, un journaliste d'investigation du quotidien économique italien Il Sole 24 Ore, Claudio Gatti, a révélé l'identité probable d'Elena Ferrante en désignant une traductrice romaine, Anita Raja, 63 ans, dont la mère d'origine juive polonaise s'était réfugiée à Naples. Anita Raja n'est autre que l'épouse de Domenico Starnone, 74 ans, un écrivain napolitain prolixe, auteur d'une quinzaine de romans de bonne facture qui a obtenu le prix Strega (le plus prestigieux prix littéraire italien) en 2001, même s'il n'a jamais accédé (jusqu'ici) à une véritable notoriété internationale. Pour preuve de ce «scoop» largement relayé par la presse italienne: la rémunération annuelle versée par Edizioni E/O à la traductrice a bondi de 150% en 2015 et a été multipliée par sept en cinq ans. En outre, Claudio Gatti révèle que le couple s'est offert deux appartements de sept et onze pièces dans les beaux quartiers de Rome et une maison en Toscane. Relayée, le jour même, par le site Mediapart en France, le Frankfurter Allgemeine Zeitung en Allemagne et The New York Review of Books, l'information vise à mettre fin à plus de vingt ans de recherches sur l'identité de l'auteur qui se cache derrière un pseudonyme inspiré du nom d'Elsa Morante, une des plus grandes écrivaines italiennes. Mais ni l'éditeur ni les intéressés n'ont commenté ce «coming out» forcé, jugé «intrusif» et «regrettable» par la plupart des critiques italiens, à de très rares exceptions près. Et le doute subsiste sur le degré réel d'implication d'Anita Raja et la possibilité d'une oeuvre à quatre mains.
«Le plus intéressant dans cette affaire n'est pas tant l'anonymat que le fait qu'un auteur italien contemporain a réussi à écrire, en italien, un roman populaire à grand succès dans le monde entier. Cela me fait penser qu'il y a un écrivain très habile derrière cette oeuvre», confie Maria Ida Gaeta. Figure incontournable de l'édition romaine, la fondatrice du prix littéraire italo-américain The Bridge et du festival de Massenzio dirige la Maison de la littérature de Rome, piazza dell'Orologio. Elle en est convaincue: «C'est forcément un écrivain confirmé.» Pour cette grande connaisseuse des prix littéraires, le succès de la saga Ferrante n'a rien à voir avec celui du Nom de la rose, d'Umberto Eco. «À la différence de ce dernier, devenu populaire à son insu, ce livre voulait devenir ce qu'il est devenu. Il y a un contrôle de la destinée du livre par son auteur. Pour moi, la saga Ferrante est une «opération populaire» faite par un écrivain littéraire. Sinon, nous n'aurions pas été si nombreux à en parler.» Quant à la patte forcément féminine, l'histoire de la littérature montre qu'«il y a eu nombre d'hommes qui ont écrit sur le vécu féminin». Pour elle, il y a un écrivain qui «s'amuse derrière toute cette histoire». Elle souligne par ailleurs que dans Frantumaglia (2003), le recueil de correspondance d'Elena Ferrante avec son éditeur et les médias - bientôt disponible en français -, «on découvre un auteur hyperperfectionniste, jaloux de son intimité, qui passe son temps à étudier lorsqu'il n'écrit pas». En clair, pour Maria Ida Gaeta, tout désigne Domenico Starnone, 74 ans, le mari d'Anita Raja. Son dernier roman, Lacci, sur un couple qui se déchire, publié chez Edizioni E/O (non traduit en français), est plein d'indices qui renvoient à la tétralogie. «C'est un jeu avec le public et les critiques. J'imagine un écrivain d'un certain âge qui ne s'est pas senti suffisamment reconnu par la critique littéraire et qui a décidé, à un certain stade, de se frotter au succès», avance Maria Ida Gaeta. «C'est un défi incroyable qui a fonctionné. Il y a plein d'indices et de correspondances avec «Via Gemito»», son grand roman autobiographique, lauréat du prix Strega en 2001. «Nino [l'amant de la narratrice dans la saga] est le nom par lequel ses parents appelaient Domenico Starnone à Naples. En revanche, Anita Raja n'a jamais écrit», lâche la fondatrice du prix The Bridge, qui connaît bien le couple. Comble de l'ironie: Anita Raja était même... l'éditrice de L'Amore molesto (traduit en français sous le titre «L'Amour harcelant»), le premier roman d'Elena Ferrante, chez Edizioni E/O, confirme Mario Martone.
Un coup de l'«Actes Sud» italien
«Suspect» numéro un dans les milieux littéraires italiens, Domenico Starnone a débuté comme enseignant en lettres. Puis, après avoir dirigé pendant plusieurs années les pages littéraires d'Il Manifesto, le quotidien communiste fondé en 1969, il a publié plusieurs livres sur l'école (un thème très présent dans la saga), avant de travailler comme scénariste pendant vingt ans. Longtemps considéré comme un écrivain un peu «facile», il a vu sa carrière prendre un tournant avec la publication de Via Gemito. On y retrouve de nombreuses résonances avec la tétralogie d'Elena Ferrante, depuis la couleur de la robe de chambre du père, peintre névrosé et jaloux de sa femme... «Il a pratiquement arrêté d'écrire des romans pendant plusieurs années. Je pense qu'il jouait à la Ferrante», insiste Maria Ida Gaeta. Au siège romain de l'éditeur d'Elena Ferrante, Edizioni E/O, dans le quartier de Prati, près du Vatican, la réserve est de rigueur. Pas question de s'étendre sur les «élucubrations» de la presse et encore moins sur le «scoop» d'Il Sole 24 Ore. Sur les murs de cet appartement bourgeois, figurent les portraits des principaux auteurs maison: Christa Wolf, Lia Levi, Roberta Anau... à l'exception d'une seule.
Fondé en 1979 par un couple d'éditeurs, Sandro Ferri et Sandra Ozzola, E/O a démarré en publiant L'Empire éclaté d'Hélène Carrère d'Encausse et une biographie d'Andrzej Wajda. Sorte de «mini-Actes Sud» version italienne, la maison a connu ses premiers grands succès avec la traduction de L'Élégance du hérisson de Muriel Barbery (2 millions d'exemplaires en Italie) et les polars de Jean-Claude Izzo ou de Massimo Carlotto... Mais rien de comparable avec les 10 millions d'exemplaires vendus dans le monde de la saga «L'Amie prodigieuse» depuis son lancement. «Contrairement à ce que l'on raconte, le succès d'Elena Ferrante est né en Italie. Déjà, «L'Amore molesto» s'était vendu à quelques dizaines de milliers d'exemplaires. Et son deuxième livre, «Les Jours de mon abandon», à 100000 exemplaires», assure Sandro Ferri. Pour lui comme pour Mario Martone, l'oeuvre d'Elena Ferrante s'inscrit dans le sillage des grandes écrivaines napolitaines: Anna Maria Ortese ou Fabrizia Ramondino. Dacia Maraini, ex-épouse d'Alberto Moravia, a même été la première à soutenir Elena Ferrante en militant pour l'attribution du prix Strega à son premier livre. «C'est un succès fondé sur le bouche-à-oreille et l'accueil des libraires. En vérité, l'anonymat n'a eu aucun impact sur le succès commercial du livre. Quand il y a eu le scoop d'«Il Sole 24 Ore», nous avons même reçu des milliers de messages de soutien», assure le cofondateur de la maison d'édition romaine, qui s'apprête à ouvrir un bureau à Milan, après New York et Londres.
L'appui décisif du «New Yorker»
Mais le vrai détonateur du phénomène Ferrante a été le succès américain, qui a validé l'impact populaire de la saga. Elle a véritablement explosé aux États-Unis grâce à une stratégie ad hoc astucieuse et à de précieux relais dans l'élite new-yorkaise. Faute d'avoir trouvé preneur pour les droits, E/O n'a pas hésité à lancer L'Amie prodigieuse outre-Atlantique à travers sa propre filiale américaine, Europa Editions, dirigée par Michael Reynolds. Cet ancien chercheur d'or, qui fut instructeur de windsurf avant de diriger un festival littéraire, s'est révélé un formidable relais avec la traductrice américaine de Primo Levi, Ann Goldstein, très introduite dans les milieux new-yorkais et au magazine The New Yorker.«Outre sa touche féministe et son côté mélodramatique, le lien de la saga avec Naples a fait «tilt» pour le public américain. Mais la maison d'édition a aussi investi énormément en relations publiques», estime la traductrice littéraire Frederika Randall, ex-correspondante culturelle du Wall Street Journal. En janvier 2013, l'article dithyrambique du critique James Wood dans The New Yorker («Women on the Verge») sert de déclic. La «Ferrante fever» prend outre-Atlantique. Très vite, l'oeuvre de la «femme sans visage» va gagner le soutien de l'écrivain américain Jonathan Franzen, de la Britannique Zadie Smith, ou encore des prix Pulitzer Elizabeth Strout et Jhumpa Lahiri. Et, en septembre 2016, même la candidate à la Maison-Blanche Hillary Clinton déclare sa flamme pour l'écriture «hypnotique» d'Elena Ferrante. Traductrice de Domenico Starnone aux États-Unis, l'écrivaine indo-américaine Jhumpa Lahiri a beaucoup contribué à la notoriété d'Elena Ferrante outre-Atlantique. Du coup, «l'ensemble du monde éditorial italien a défendu férocement l'oeuvre d'Elena Ferrante pour ne pas gâcher la partie», résume Frederika Randall. Certains critiques n'excluent pas que la traduction d'Ann Goldstein ait aussi joué un rôle clef. «Ils ont choisi de donner une forme plus accessible aux lecteurs américains, l'univers sombre et l'écriture viscérale d'Elena Ferrante étant considérés comme trop violents pour le public local», avance un traducteur de renom.
«Avec Europa Editions, Edizioni E/O a construit l'attention médiatique à travers des personnalités qui ont servi de passerelles avec l'Italie: Ann Goldstein, Jhumpa Lahiri... Cet environnement a été créé avec une grande attention», estime Paolo Di Paolo, critique à La Repubblica, un des rares en Italie à avoir émis des réserves sur la valeur littéraire de la tétralogie. «Cela laisse un peu perplexe. Ce qu'ils ont appelé la «fièvre Ferrante» (NDLR: du nom du documentaire de Giacomo Durzi récemment sorti en salle en Italie) est un phénomène réel; ce n'est pas orchestré, mais il a été déclenché. C'est un phénomène paralittéraire. Du moment que sa valeur a été validée, codifiée par l'Amérique, l'oeuvre est revenue avec une aura supérieure», explique le jeune romancier, auteur d'une radiographie des années Berlusconi. «Quand on a acheté les droits de ses premiers livres, dans les années 90, Elena Ferrante n'intéressait personne. C'est quand elle a décollé en anglais que cela a attisé l'intérêt des autres maisons», confirme Vincent Reynaud, le responsable du domaine italien de Gallimard (récemment passé à l'École des loisirs) qui a été un des premiers à y croire. Pour Paolo Di Paolo, le bouche-à-oreille ne suffit pas à expliquer le succès du livre aux États-Unis. «Aujourd'hui, plus personne n'ose critiquer Ferrante en Italie. Pour cause: après Italo Calvino et Umberto Eco, c'est l'unique écrivain italien à avoir percé le mur de l'Amérique. Mais faire d'elle la plus grande écrivaine italienne du moment me semble la métaphore d'un pays qui n'a aucune identité intellectuelle.» Lui voit dans l'unanimité de façade de la critique une forme d'«omerta» ou de «cordon sanitaire».
«Entre Bovary et Beauvoir»
Pour Goffredo Fofi, l'un des doyens les plus respectés de la critique italienne et soutien de la première heure d'Elena Ferrante, «il ne fait aucun doute qu'elle est une grande écrivaine». À ses yeux, elle s'inscrit dans la tradition du réalisme européen du xixe siècle, même si elle n'a pas le «souffle métaphysique» d'Elsa Morante. Mais L'Amie prodigieuse est-elle vraiment représentative de la littérature italienne contemporaine? «Elle donne de l'Italie et de Naples une image assez conventionnelle, celle que les Américains ont en tête. Elle ne parle jamais de la Camorra», objecte Paolo Di Paolo. Pour lui, comme Gomorra, le best-seller du romancier-journaliste napolitain Roberto Saviano, mais de manière opposée, la saga Ferrante alimente les stéréotypes: «D'un côté, la Naples chaotique du mélodrame, de l'autre, la Naples de la criminalité et de la mafia.» Comme nombre d'observateurs, il note aussi que le dernier roman de Domenico Starnone (Lacci), largement salué par le New York Times, dialogue explicitement avec l'oeuvre d'Elena Ferrante. «Il est impossible qu'il n'y ait pas de relation entre les deux. Ou Starnone s'amuse à brouiller les cartes, ou il joue avec l'idée de se connecter avec la Ferrante.» Pour Goffredo Fofi, cependant, «ces livres ne peuvent être écrits que par une femme. Anita Raja a une culture européenne plus vaste que son mari. Je ne crois pas que Domenico Starnone soit l'auteur, mais il y a un dialogue très intense entre eux: ils dialoguent et se corrigent mutuellement», ajoute le critique, qui a bien connu le couple. Quant à l'hypothèse d'un «collectif», pour lui c'est une «ineptie».
Comment évaluer aujourd'hui la valeur littéraire de la saga d'Elena Ferrante, qui a eu les honneurs de la Collection blanche de Gallimard en France? Les avis restent partagés. Est-on plus proche de «La Bicyclette bleue», la saga en dix tomes de Régine Deforges qui s'était vendue à plus de 10 millions d'exemplaires en 20 langues et avait fait la fortune de Belfond dans les années 90, que du Nom de la rose ou encore de Gomorra?«N'insultons pas «L'Amie prodigieuse»: on a quelque chose d'authentique et de viscéral avec Elena Ferrante alors qu'on est dans le domaine du préfabriqué avec «Gomorra»», répond Jean-Noël Schifano, auteur du Dictionnaire amoureux de Naples et traducteur du premier roman d'Elena Ferrante. Pour l'écrivain français, qui a été parmi les premiers à la repérer, «Elena Ferrante se situe littérairement entre «La Femme rompue» de Simone de Beauvoir et «Madame Bovary»». «On entend puissamment la voix d'une femme dans son siècle: elle a une façon de parler au féminin, d'une manière radicale et sans concession, qui est novatrice», insiste Vincent Raynaud.
Travail d'équipe ?
Mais, pour Maria Ida Gaeta, elle n'est pas «comparable à Elsa Morante», même si c'est certainement une forme de «modèle» pour elle. «Elle part d'un parcours sentimental: celui du mélodrame italien. Elle parle de thèmes universels: l'amitié entre filles, Naples, la pauvreté, l'émulation et la sortie de la pauvreté à travers le travail scolaire et les études...» Rien de comparable à l'oeuvre de Calvino ou même d'Eco. Pour le fondateur de L'Orma Editore, Lorenzo Flabbi, traducteur et éditeur d'Annie Ernaux en Italie, le succès d'Elena Ferrante serait plutôt à rapprocher de celui du Français Daniel Pennac. «Elena Ferrante est une très bonne écrivaine mais n'ouvre pas de nouvelle voie. Son écriture est beaucoup plus traditionnelle que celle d'Annie Ernaux.» Pour autant, il estime que le phénomène Ferrante peut servir de locomotive à l'ensemble de l'édition italienne: «C'est réconfortant de voir qu'un auteur qui n'offense pas l'intelligence du lecteur rencontre un tel succès.» D'ailleurs, certains agents littéraires comme Fiammetta Biancatelli, fondatrice de Walkabout, note un net regain d'intérêt à l'étranger pour les sagas féminines à l'italienne.
«Mon sentiment est qu'il y a un travail d'équipe derrière la tétralogie», confie Marco Santagata, un des critiques les plus respectés de la Péninsule, qui enseigne à l'École normale de Pise. «Le nom d'Elena Ferrante est devenu une sorte de marque. J'ai l'impression qu'il n'y a pas seulement un couple, mais un collectif comme ceux qui élaborent les séries télévisées, au moins pour les derniers tomes. La trame est plus articulée, mais la qualité du style en pâtit», opine Paolo Di Paolo. Il n'est pas le seul à noter des changements de style par rapport aux premiers livres de Ferrante et même au sein de la saga. Sa traductrice en français, Elsa Damien, dit avoir été frappée par des «ruptures de style à l'intérieur de chaque tome». Et elle estime qu'il y a «forcément une main féminine», notamment dans certains passages sur la maternité. Selon les travaux de la start-up suisse OrphAnalytics, à partir d'une analyse informatique des séquences génomiques de l'oeuvre, publiés en octobre 2016, l'étude linguistique révèle de nettes similitudes avec l'écriture de Starnone. Un congrès scientifique, organisé en septembre 2017 par l'université de Padoue, a conclu dans le même sens.
«Ses éditeurs sont prisonniers du succès d'Elena Ferrante. Si ses soutiens américains venaient à découvrir qu'elle n'existe pas vraiment, ils pourraient s'étrangler ou s'indigner», s'amuse un critique de renom, sous couvert d'anonymat. En attendant, les piles de L'Amica geniale et de La Bambina perduta (L'Enfant perdue) côtoient encore celles d'Il Nome della rosa dans les librairies de Rome. «On ne naît pas femme, on le devient», disait Simone de Beauvoir...
Les vrais ressorts de la " folie Ferrante "
Le quatrième tome de la saga napolitaine d'Elena Ferrante sort le 18 janvier en France chez Gallimard. Six ans après "L'Amie prodigieuse", le doute subsiste sur l'identité réelle de l'auteur de...
https://www.lesechos.fr/2018/01/les-vrais-ressorts-de-la-folie-ferrante-1019658
L'article de Pierre de Gasquet...