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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 1.700 articles.

Hélène et Pierre Lazareff, un couple d'influence.

Au coeur des années 1950, le couple Lazareff bâtit un nouvel empire médiatique. Avec Hélène à la tête de « Elle » et Pierre aux commandes de « France-Soir », ils deviennent le tandem incontournable du Tout-Paris.

 

Entre eux, il y eut toujours une forme de rivalité. Lui, à la tête de « France-Soir », dont il avait fait le plus gros tirage de la presse française; elle, installée deux étages au-dessus, à la direction du magazine « Elle », qu'elle avait fondé et qu'elle dirigeait de main de maître. Chacun avait ses propres projets, ses propres priorités, ses propres envies. Plus tumultueuse encore était leur vie privée, faite d'amours agitées, de trahisons et de retrouvailles. Profondément épris l'un de l'autre, ils partageaient également une même passion pour le journalisme. Ils furent, pendant plus de vingt ans, le couple le plus influent de la vie politique et mondaine française.

Lorsque Pierre Lazareff rencontre Hélène Gordon, en 1935, il a vingt-huit ans et occupe déjà une position éminente au sein de la presse française. Tombé dans le journalisme à l'âge de quatorze ans, devenu une figure des rubriques spectacles, il a vu son destin basculer en 1924 lors de sa rencontre avec l'industriel du textile Jean Prouvost, propriétaire du journal « Paris Midi », où il travaille alors. L'industriel a vite fait de repérer ce jeune journaliste au style incisif, au point de lui confier toute la deuxième page, consacrée à la vie parisienne. Avec son écriture simple et précise, si éloignée du style pompeux de l'époque, ses informations claires, ses titres percutants, ses anecdotes et ses témoignages, « Pierrot les Bretelles », comme on le surnomme déjà dans le petit monde des journalistes, rencontre un tel succès que c'est tout naturellement à lui que Jean Prouvost, dévoré par sa passion pour la presse, confie en 1930 la direction de l'information d'un journal qu'il vient de racheter, « Paris-Soir ». De ce journal qui vivote alors, Pierre Lazareff fait, par l'alliance de photographies en couleurs et de reportages signés par des plumes prestigieuses, le premier grand quotidien populaire d'information illustré de France. De 200.000 à peine en 1931, le tirage atteint, en 1935, plus de 1,3 million d'exemplaires...

Paris Soir du 28 décembre 1937

A cette date, Hélène Gordon n'est encore qu'une jeune femme de vingt-six ans éprise de liberté et pleine de projets. Née en Russie en 1909, fille d'un riche homme d'affaires réfugié en France en 1917, mariée à dix-neuf ans, bientôt divorcée, inscrite à la Sorbonne où elle suit des cours d'ethnologie, elle s'est, en 1935, imposée au culot dans une expédition destinée à étudier les moeurs des Dogons, une tribu du Niger. Elle en revient avec un reportage et une conviction : elle sera journaliste. Lorsque la jeune femme, quelques mois plus tard, rencontre Pierre Lazareff chez des amis communs, c'est le coup de foudre. Brillante, drôle, enjôleuse, elle n'a aucun mal à séduire « Pierrot », dont la passion pour les femmes n'est un secret pour personne. Commence alors une liaison que consacrera le mariage en 1939 et qui durera, envers et contre tous, jusqu'à la fin. Pour l'heure, littéralement subjugué, Pierre Lazareff confie à Hélène une rubrique pour enfants dans « Paris Soir dimanche », le premier journal du dimanche français, qu'il a lancé avec Jean Prouvost. Baptisée « Tante Juliette », la rubrique va bien au-delà de son public initial - les enfants - pour s'intéresser aux mères et à leurs attentes. Une idée qu'Hélène reprendra plus tard en lançant le magazine « Elle ».

La guerre marque une première épreuve pour le couple, réfugié aux Etats-Unis en 1940. Pour Pierre Lazareff, il s'agit même d'une véritable traversée de désert ! Lui, dont les articles étaient lus par des millions de Français, lui, dont la vie était un tourbillon incessant de rencontres et qui, sur un simple coup de téléphone, était reçu par le président du Conseil, se retrouve du jour au lendemain sans lecteur et sans influence. Ne parlant pas un mot d'anglais, il survit grâce aux articles que lui commande parfois, par l'entremise d'amis américains, le magazine « Life », et connaît des moments de profonde déprime. Pour Hélène au contraire, l'exil américain est une suite sans fin d'activités et de plaisirs ! Polyglotte, elle devient une collaboratrice régulière du « Harper's Bazaar » et du « New York Times » où elle signe des articles remarqués sur la mode et les tendances du moment. Elle y peaufine les recettes qu'elle mettra plus tard en oeuvre chez « Elle ». A New York, elle multiplie également les relations extraconjugales, pour le plus grand désespoir de son époux, condamné à ronger son frein...

Elle du 2 septembre 1947

« France-Soir » ou le renouveau du journalisme

Il rentrera le premier en France, trop impatient de retrouver la place qui lui revient au sein de la presse française, attendant plus de huit mois avant de revoir Hélène qui, de son côté, peine à quitter les Etats-Unis. C'est alors que commence véritablement l'ascension de ce couple exceptionnel. Embauché à la fin de l'année 1944 par un petit journal créé par des résistants, « Défense de la France », Pierre Lazareff le rebaptise « France-Soir », profite de difficultés financières pour écarter l'équipe fondatrice, le fait racheter par la Librairie Hachette avant d'obtenir, en 1949, les pleins pouvoirs.

A quarante-deux ans, Pierre Lazareff a enfin son journal à lui ! L'aventure « France-Soir » peut commencer. Pendant plus de vingt ans, le journal et son directeur vont se confondre totalement. A son apogée au début des années 1960, la rédaction compte 400 journalistes, dont de futures gloires de la presse comme Françoise Giroud, Philippe Labro, Jean Ferniot ou bien encore Georges Chapus. Diversité des rubriques, multiplication des reportages, illustrations en grand nombre, témoignages pris sur le vif, style concis et clair afin d'être compris par le plus grand nombre, bandes dessinées, cartes : « France-Soir » réinvente littéralement le journalisme. Avec un objectif : faire vrai et faire simple. Lu au plus haut sommet de l'Etat, le journal est une véritable puissance et son directeur un habitué des cénacles politiques et mondains. Une position que viendra encore renforcer le lancement, en 1959, de « Cinq colonnes à la une », le premier magazine d'informations télévisé en France qui reprend en grande partie les recettes de « France-Soir ».

Hélène Lazareff n'est pas en reste. Revenue des Etats-Unis avec des idées nouvelles, elle a fondé en 1945, avec l'appui de son mari et le soutien financier de la société éditrice de « France-Soir », son propre magazine, « Elle », installé deux étages au-dessus de ce dernier. Ayant compris, la première, que les femmes, après des années de privation, ont besoin de frivolité - mais sans bêtise - et de fantaisie - mais mêlée de réalisme -, elle propose, dans son premier numéro de novembre 1945, des « trucs » pour s'habiller et se distraire malgré les tickets de rationnement, une recette de croque-monsieur aux petits-suisses, mais aussi des statistiques sur la condition de la femme et des articles sur l'actualité. Le style « Elle » vient de naître qui, au fil des années, s'imposera comme la référence dans les domaines de la mode et du style de vie féminin. En 1958, Hélène Lazareff lance même, en collaboration avec les Galeries Lafayette, une ligne de vêtements signée du nom du journal. Elle sera, plus tard, à l'origine des états généraux de la femme et du prix des lectrices « Elle ».

Les déjeuners du dimanche

Rue Réaumur où les deux journaux sont installés, Pierre et Hélène Lazareff règnent chacun sur leur empire. Bourreau de travail, Pierre commence ses journées à 6 heures et les termine rarement avant 22 ou 23 heures, relisant tous les articles dont il s'évertue à bannir les mots trop savants - les rédacteurs qui utilisent des mots comme éthique, consensus, charisme ou drastique sont fermement rappelés à l'ordre - choisissant lui-même les titres et les illustrations. Deux étages au-dessus, Hélène dirige elle aussi son magazine d'une main de fer, attendant de ses équipes une disponibilité totale. Elle y gagne le surnom de « La Tsarine ». Les collaborations entre les deux journaux sont rares. Hélène n'a cependant pas sa pareille pour arracher à son mari des informations exclusives qu'il a généralement acquises à grands frais pour « France-Soir ».

Hélène et Pierre font véritablement cause commune le dimanche, lors des déjeuners organisés à partir des années 1950, dans leur propriété de Louveciennes, la Grille Royale. Les « déjeuners du dimanche » deviennent vite célèbres à Paris. Le couple y reçoit tout ce qui compte dans le domaine de la politique, des affaires et de la culture. François Mitterrand, Georges Pompidou, Marcel Bleustein-Blanchet, Juliette Greco, Françoise Sagan, Romain Gary, Brigitte Bardot - dont « Elle » a lancé la carrière -, Jeanne Moreau, Jacques Delors ou bien encore Pierre Salinger figurent ainsi parmi les habitués. Commencés à 13 heures par un apéritif, se prolongeant par une promenade ou des jeux de cartes, les déjeuners de Louveciennes s'achèvent rarement avant 19 heures. Pour les Lazareff, il s'agit d'une source formidable d'informations et d'influence... Seuls les De Gaulle ne mettront jamais les pieds à Louveciennes. Mais à Paris, il se murmure que le général, revenu au pouvoir en 1958, se fait communiquer chaque lundi matin la liste des invités de la veille...

Pendant plus de vingt ans, Pierre et Hélène Lazareff règnent ainsi sur la presse parisienne. Rallié au général de Gaulle - ce qui le brouille à jamais avec les Mitterrand, d'abord relégués en bout de table à Louveciennes puis définitivement bannis des déjeuners du dimanche - Pierre Lazareff ne comprend cependant plus les évolutions de la société française. Mai 68, qui suscite de graves tensions au sein de la rédaction, le plonge ainsi dans l'incompréhension totale. Trop autoritaire, trop impliqué dans le travail de la rédaction, affaibli en outre par le cancer qui le ronge, il ne parvient pas à donner un second souffle à « France-Soir » dont le tirage ne cesse de décliner. Il reste cependant à la tête du journal jusqu'à sa mort, en avril 1972. Cette même année, atteinte de la maladie d'Alzheimer, Hélène Lazareff quitte la direction de « Elle ». A la demande de Georges Pompidou, un ami de longue date du couple, le groupe Hachette continue cependant à lui verser l'intégralité de son salaire de directrice. Il le fera jusqu'à sa disparition, en 1988.

 

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