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15 Juin 2021
Si Vichy a tenté – tardivement – de ne pas participer directement à la déportation de citoyens juifs français, il n'a jamais sérieusement tenté d'empêcher les Allemands de le faire
Dans ce solide livre, Laurent Joly a adopté une approche sélective. Avec sa précision habituelle (109 pages de notes explicatives pour 236 pages de texte), il se concentre sur sept questions cruciales, dont certaines, soixante-quinze ans plus tard, sont encore débattues en France: comment et sous quelles influences Vichy a-t-il adopté ses premières lois antisémites, à commencer par le statut des juifs ?
Comment les efforts de Vichy pour «harmoniser» les zones inoccupée («libre») et occupée n'ont fait qu'empirer les choses? Comment la rafle du Vél' d'Hiv a-t-elle été organisée et mise en œuvre? Vichy a-t-il délibérément sacrifié des juifs étrangers pour sauver des citoyens français? Que pouvait-on savoir à l'époque sur le sort des juifs déportés? Avec quel mélange d'obéissance, de routine, de zèle antisémite et de résistance les fonctionnaires de Vichy ont-ils adopté des mesures anti-juives ? Enfin, la purge d'après-guerre a-t-elle négligé les responsables du sort des juifs ?
Dans sa conclusion, il compare la France à d'autres pays de l'orbite nazie et aborde une question toujours très controversée : pourquoi, malgré la contribution massive de Vichy aux déportations, les trois quarts des juifs de France ont-ils survécu ? Une telle approche sélective court le risque d'omissions. Joly se plaint que, dans la prose récente sur Vichy, les occupants nazis ont tendance à « disparaître du paysage » (p. 12). Il aurait pu lui-même écrire un chapitre intitulé «Que cherchaient à faire les nazis en France ?». Bien sûr, leurs objectifs ont évolué.
Au cours des cruciaux premiers mois, lors de la rédaction du statut des juifs et des autres lois anti-étrangères et anti-juives, les nazis semblaient désireux d'expulser vers la zone libre les juifs vivant dans des territoires qu'ils contrôlaient, y compris le Reich lui-même. Dès lors, ils n'affichaient pas un grand intérêt à la façon dont Vichy traitait les juifs. Par la suite, leurs pressions se sont intensifiées. En février 1941, le représentant d'Eichmann en France, Theodor Dannecker, a poussé Vichy à former un service central des affaires juives. En août 1941, des assassinats de militaires allemands commis par la résistance provoquèrent de violentes représailles, dirigées principalement contre les juifs. Puis, à partir de l'été 1942, la «solution finale» engloba la France entière.
Joly s'efforce de nuancer la thèse de l'autonomie de Vichy en 1940. A le lire, les mesures prises par le régime relèveraient plus d'un «alignement» délibéré avec la politique nazie que d'une prolongation des thèmes antisémites français traditionnels. Cependant, s'il y a eu «alignement», il était incomplet. Il aurait pu noter que Vichy n'a jamais interdit les mariages mixtes, n'a ni fermé les synagogues, ni expulsé des écoles les enfants juifs.
Des fanatiques antisémites aux postes stratégiques
C'est avec son érudition habituelle que Laurent Joly aborde le reste de son tableau. Il est clair que les efforts de Vichy pour maintenir l'unité de la France en harmonisant les deux zones (comme promis à l'article 3 de l'armistice) ont contribué à l'importation des politiques nazies vers la zone libre. Avec la fougue d'une «reconquête», Vichy a sans cesse cherché à restaurer la souveraineté de la police française dans la zone occupée... au prix d'une aide zélée à la déportation des juifs.
Même logique derrière l'«aryanisation» des biens juifs: c'est pour empêcher les investisseurs allemands de mettre la main sur des biens français que Vichy a pris en charge cette politique initialement allemande, puis l'a délibérément étendue à la zone libre.
L'analyse de l'État est au cœur de ce travail, reflétant l'intérêt que Joly porte depuis longtemps au fonctionnement d'administrations telles que la Préfecture de Police ou le Commissariat général aux Questions juives. Le comportement des fonctionnaires variait beaucoup, même si les refus catégoriques d'appliquer les mesures anti-juives étaient rares. Les fanatiques antisémites, montre-t-il, vont occuper des postes de plus en plus stratégiques au sein de l'administration.
Joly rejette sans mal la thèse selon laquelle Vichy aurait sauvé les juifs français en participant à la déportation des étrangers. Après tout, pendant ses deux premières années, Vichy a soumis hardiment les citoyens juifs français à des mesures de discrimination, d'exclusion et de confiscation. Si Vichy a tenté – tardivement – de ne pas participer directement à la déportation de citoyens juifs français, il n'a jamais sérieusement tenté d'empêcher les Allemands de le faire. Et au bout du compte, sur les 75 000 juifs déportés de France, un quart étaient nés dans le pays. Et selon Joly, au cours de la dernière année, après que Vichy eut transféré à la police nazie ses listes de noms et d'adresses, près de la moitié des déportés étaient nés en France...
Quand, sur le tard, Vichy commença à dire non à certaines demandes, il s'en sortit sans dommage. En juin 1942, il refusa ainsi d'étendre à la zone inoccupée l'obligation pour les juifs de porter une étoile ; en août 1943, il n'avalisa pas un projet de dénaturalisation des juifs récemment devenus français. Il n'y eut pas de conséquences graves: pourquoi ne l'avait-il pas fait plus tôt ?
Pétain était impatient de chasser les juifs du système judiciaire
Comme le montre Laurent Joly, même si des détails explicites sur les camps de la mort allemands sont restés inconnus en France jusqu'à la Libération, la plupart des observateurs avaient déduit des conditions difficiles d'arrestation et de déportation des juifs que leur mort les attendait probablement. L'auteur démontre également que, lors de la purge qui a suivi la Libération, si de nombreux policiers ayant exercé des fonctions anti-juives ont été punis, il n'en n'est pas de même des antisémites de bureau: les hauts fonctionnaires qui ont organisé les rafles.
Joly aborde également les raisons pour lesquelles la solution finale a partiellement échoué en France. Les Allemands, il faut le noter, entendaient occuper la France en déployant le moins de moyens possible. C'est ainsi qu'en septembre 1941, Werner Best, le «ministre de l'Intérieur» de l'autorité d'occupation, peut rapporter fièrement qu'il n'a besoin que de 2 898 agents pour diriger la zone occupée, contre 3 192 en Hollande et 18 724 en Bohême-Moravie.
Pour y parvenir, les Allemands s'appuyaient sur l'administration française, qui, en retour, appliquait différemment, selon ses services, les mesures anti-juives... Malgré les directives adressées à la police, un tiers des juifs ciblés pour la rafle du Vél' d'Hiv ont été effectivement arrêtés. Il y a d'autres explications. Par exemple, des particuliers et quelques organisations d'aide internationale ont aidé les juifs, bien que ce ne soit pas un facteur majeur. Surtout, le calendrier a joué un rôle important: la France a en effet été la première zone d'Europe occidentale à être libérée. Avec l'arrivée des armées alliées, les déportations de France ont cessé en août 1944.
Enfin, Laurent Joly démolit le mythe encore répandu d'un contraste entre un Pétain bien intentionné et l'ogre Laval. Pétain était impatient de chasser les juifs du système judiciaire et des écoles. Laval ne joua aucun rôle dans les premières lois antisémites, même si, plus tard, il a participé aux déportations, espérant en tirer un gain. Il partageait de toute façon la conviction générale selon laquelle la France avait accepté trop de réfugiés dans les années 1930 et devait se débarrasser d'eux.
Robert O. Paxton, historien
L'Etat contre les juifs.
Vichy, les nazis et la persécution antisémite,
par Laurent Joly, Grasset, 368 p., 20,90 euros
Spécialiste du fascisme, Robert O. Paxton est l'auteur de «la France de Vichy» (éd. Seuil, 1973), le livre qui a ouvert les yeux des Français sur les responsabilités du régime de Pétain dans la persécution et la déportation des juifs.
Non, Vichy n'a pas sauvé des juifs français en déportant des étrangers
Dans ce solide livre, Laurent Joly a adopté une approche sélective. Avec sa précision habituelle (109 pages de notes explicatives pour 236 pages de texte), il se concentre sur sept questions ...
L'article de Robert Paxton dans L'Obs...