Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Les éditions de Minuit rejoignent Gallimard...

L’éditeur d’« En Attendant Godot », de Samuel Beckett, et de « L’Amant », de Marguerite Duras, rejoint le Groupe Madrigall, à partir du 1er janvier 2022.

Fin de partie aux Editions de Minuit, aurait pu écrire Samuel Beckett (1906-1989), le célèbre écrivain irlandais et l’un des deux Nobel de littérature de la plus petite des grandes maisons d’édition françaises. Seule maison, fondée sous l’Occupation, encore indépendante, les Editions de Minuit vont passer dans le giron du Groupe Madrigall, maison mère de Gallimard, au 1er janvier 2022. L’annonce en a été faite mercredi 23 juin dans un communiqué commun, sans que les termes financiers de ce rachat soient précisés.

 

La maison à l’étoile bleue est née en 1942, de la volonté de résister de deux hommes : Pierre de Lescure et Jean Bruller-Vercors, auteur du Silence de la mer, le premier titre publié. Jérôme Lindon, son emblématique directeur, à l’origine de la loi Lang sur le prix unique du livre en 1981, l’a ensuite dirigée pendant plus d’un demi-siècle, de 1948 jusqu’à sa mort, en 2001. Sa fille, Irène Lindon, qui a pris sa succession, aujourd’hui septuagénaire et sans héritier direct, a donc décidé de s’adosser à un grand groupe d’édition. « L’âge venant, il fallait que je pense à l’avenir de la maison, de ses collaborateurs et de ses auteurs », a t-elle écrit, mercredi.

« Ne défendre que ce que l’on entend », telle était la règle que s’était imposée Jérôme Lindon, qui aimait aussi répéter qu’« être édité aux Editions de Minuit fait qu’un livre n’est pas tout à fait le même que s’il était paru chez Grasset ou au Seuil ». Indépendance, résistance et devoir d’insoumission sont les trois mots qui ont guidé l’éthique éditoriale de Minuit. Alors que toute l’œuvre de Paul Eluard (1895-1952) se trouve chez Gallimard, c’est à Minuit que le poète a confié son recueil Au rendez-vous allemand, écrit dans la clandestinité, pendant la seconde guerre mondiale, et qui comprend son célèbre poème Liberté, lu dans les collèges et les lycées.

Un rôle majeur 

De même, pendant la guerre d’Algérie (1954-1961), les Editions de Minuit ont joué un rôle majeur dans la dénonciation de la guerre coloniale. Prônant la désobéissance, au nom d’un moralisme radical, Jérôme Lindon a publié pendant cette période La Question, d’Henri Alleg, L’Affaire Audin, de Pierre Vidal-Naquet, ou encore Les Belles Lettres, de Charlotte Delbo. C’est aussi aux Editions de Minuit qu’est paru, en 1958, La Nuit, d’Elie Wiesel, le premier texte du Prix Nobel de la paix qui y raconte sa déportation en famille à Auschwitz puis à Birkenau.

En rejoignant Gallimard, Irène Lindon a choisi d’unir deux des plus beaux catalogues de la littérature et des sciences humaines du XXe siècle, et d’en assurer la pérennité. Déjà, l’œuvre de Marguerite Duras – dont l’Amant (1984) fut le premier Goncourt des Editions de Minuit –, était entrée dans « La Pléiade », la grande collection patrimoniale de Gallimard. Car Minuit, c’est entre autres l’aventure du Nouveau Roman, avec Les Gommes (1952), d’Alain Robbe-Grillet, l’œuvre de Claude Simon, prix Nobel de littérature en 1985, mais aussi les œuvres de Michel Butor, Robert Pinget, Nathalie Sarraute… Des auteurs qui, à l’origine, n’ont pas rapporté un sou à Minuit, dont les exercices ont été déficitaires les quinze premières années de son existence. La maison est aujourd’hui en bonne santé financière.

 

D’autres écrivains désormais reconnus ont continué le chemin comme Jean Echenoz, prix Goncourt pour Je m’en vais, en 1999, année où Christian Oster reçoit le prix Médicis pour Mon grand appartement, mais aussi Jean-Philippe Toussaint, Eric Chevillard, Tanguy Viel, Hélène Lenoir, etc. On ne compte pas non plus les auteurs qui ont fait leurs premières armes chez Minuit : Jean Rouaud, prix Goncourt pour Les Champs d’honneur (1990), François Bon, Patrick Deville, Antoine Volodine.

Une vingtaine de livres par an

Structure légère, publiant peu – une vingtaine de livres par an –, les Editions de Minuit ont aussi labouré le champ des sciences humaines, avec des revues et des collections prestigieuses : « Critique », « Philosophie », « Paradoxe », « Arguments ». La maison a publié l’œuvre de Pierre Bourdieu, Les Héritiers (1964), La Reproduction (1970), dans la collection « Le Sens commun », mais aussi L’Anti-Œdipe (1972), de Gilles Deleuze, et Félix Guattari, ou, plus récemment, Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? (2006), de Pierre Bayard.

Pour l’éditrice Claire Paulhan, cet adossement, « ne signifie pas la mort de Minuit, mais plutôt la promesse d’une fidélité à l’esprit de la maison ». Déjà, depuis les années d’après-guerre, le directeur de La Nouvelle Revue française, Jean Paulhan (1884-1968), résistant comme Jérôme Lindon, avait essayé d’attirer Minuit dans le giron de Gallimard. De son côté, Antoine Gallimard, PDG du groupe d’édition français, convoitait également la maison de la rue Bernard Palissy, dont le catalogue était complémentaire du sien.

Avec Irène Lindon, ils se sont d’ailleurs entendus sur le choix du futur directeur éditorial de Minuit. Il s’agit de Thomas Simonnet, actuel directeur de la collection L’Arbalète chez Gallimard, où il a notamment réédité La mort propagande d’Hervé Guibert (1977), qui fut un des grands auteurs de Minuit. Un autre trait d’union.

Alain Beuve-Méry.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article