8 Juin 2021
J'ai repris l'historienne Mathilde Larrère sur Twitter...
2) Avec les Accords Matignon, la France, qui se tenait par sa législation sociale au dernier rang des pays européens, se dote en une nuit de la législation la plus avancée !
D’autant plus que les Accords Matignon sont complétés par une législation sur les 40 heures et les congés payés.
3) Si on en est arrivé là c’est que depuis 25 mai, la France connaissait une flambée de grèves, redoublée à partir du 3 juin. Des grèves qui prennent la forme quasi inédite de l’occupation d’usine. "La grève est une joie" écrivait Simone Weil.
4) Le patronat est complètement dépassé par les événements, leur ampleur et leur forme. L’occupation non seulement les fragilise économiquement, mais remet en cause leur autorité.
5) Or, cette fois, le patronat sait qu’il n’obtiendra pas de l’Etat qu’il mette à sa disposition la police, l’armée ou la gendarmerie pour rentrer en possession des usines. Car c’est la majorité de Front Populaire qui a été élue aux législatives de mai !
6) La CGT, (réunifiée depuis peu) elle aussi, est inquiète. Jouhaux (son dirigeant) reconnaît à plusieurs reprises que la Confédération est débordée. Il a notamment peur également des débordements révolutionnaires, notamment du côté des trotskistes.
7) L’Etat aussi s’inquiète et craint pour le ravitaillement de Paris. Or même si le gaz, l’électricité, le train, le métro, le ravitaillement des Halles fonctionnent parfaitement, le mazout commence à faire défaut Or il en faut pour faire fonctionner les fours des boulangers !
8) Le patronat souhaite en premier lieu l’évacuation des usines. (Plus que la reprise du travail, du moins dans les secteurs en crise) Le grand patronat est alors organisé au sein d’une Confédération Générale de la Production Française.
9) La CGT élabore les principales revendications : Jouhaux répète à foison, à la radio, dans la presse, les buts du mouvement :
10) soit :
- le réajustement des salaires,
- les 40 heures,
- les Congés payés,
- la négociation de conventions collectives,
- la reconnaissance des droits syndicaux et notamment l’élection de délégués.
11) Blum forme enfin un gouvernement le 4 juin et reconnaît dans son discours les revendications du mouvement de grève. Il semble que ce soit l’organisation patronale qui soit à l’origine de la rencontre. A la CGT, personne n’avait envisagé une rencontre au sommet avec le patronat.
12) C’est le 7 juin, à 13 heures, le ministre de l’Intérieur en personne se déplace au siège de la CGT. Il propose une rencontre avec les représentants du patronat, à Matignon, l’après-midi même.
13) Les dirigeants et la plupart des militants furent très sensibles à cette visite. Ils y virent la confirmation que la classe ouvrière serait désormais traitée avec plus d’égards. La CFTC (syndicat chrétien) n’est pas appelée à Matignon.
14) La réunion, présidée par Blum débute le 7 juin dans les salons de l’Hôtel de Matignon est longue, difficile, tendue… l’accord ne sera signé qu’à 1 h du mat le 8.
15) Le 8 L’Humanité titre « La victoire est acquise! », Le Peuple : « Victoire sur la misère! » le Populaire : « Victoire de la classe ouvrière! Victoire! Victoire! Les patrons ont capitulé! »
16) En revanche (et logiquement!) le son de cloche est différent dans la presse de droite : Le Temps « Toute la responsabilité d’un accord dangereux et illusoire sur le gouvernement » Alors… qu’il y a-t-il dans ces fameux accords ???
17) Les accords ont d’abord permis la reconnaissance des droits syndicaux. L’Article 3 reconnaît la liberté syndicale, affirmant que le fait d’être syndiqué ne doit entraîner aucune discrimination. (car avant, si...)
18) L’Article 5 instaure les délégués. Le patronat obtint qu’ils soient élus par les ouvriers et non désignés par les syndicats. Des articles fondamentaux pour les syndicats, victimes des pratiques patronales de surveillance et de discrimination des militants.
19) Dans la réunion, les représentants syndicaux reprochèrent aux patrons leur politique de répression, leur mépris des organisations syndicales. En contrepartie, le patronat obtint la promesse d’évacuation (art 7) et la condamnation implicite des occupations d’usines (art 3, alinéa 4).
20) La question salariale fut aussi au cœur des accords Matignon. Augmentation de 15 % pour les salaires les plus bas, de 7% pour les plus hauts. 12% pour l’ensemble de la masse salariale d’une entreprise. (art 4)
22) Reste qu’il fallu que Blum tape du point sur la table pour que les patrons consentent à ces taux d’augmentation (ils voulaient 10% maximum)
23) Les accords Matignon donnent aussi naissance aux Conventions collectives Certes, elles existaient en droit depuis la loi de 1919. Mais application quasi nulle (du fait de la mauvaise volonté patronale essentiellement) : en 1934, seuls 4% des ouvriers bénéficiaient d’une convention collective.
24) Cependant tout allait dépendre du contenu de ces conventions lors de leurs signatures. En ce sens, les Accords sont plus la promesse d’un contrat qu’un contrat.
25) Au-delà du contenu objectif de l’accord, il ne faut pas sous-estimer sa valeur symbolique et psychologique : C’était la reconnaissance de la dignité ouvrière, du droit à la parole et à la considération de la classe ouvrière, fin de la toute puissance patronale.
26) Dans les usines occupées, l’explosion de joie passée, le mouvement continue ! Les ouvriers entendent ainsi faire pression sur le patronat pendant la négociation des conventions collectives, Et luttent pour obtenir le paiement des jours de grève.
27) Dans certaines usines, des minorités révolutionnaires refusent de reconnaître les Accords signés par la CGT, et en appellent à une prise de pouvoir sur le modèle de la révolution russe…
28) C’est ce qui fit dire à Thorez (PCF) le 11 juin il faut savoir arrêter une grève dès que la satisfaction a été obtenue » (il n’aimait pas des masses être dépassé sur sa gauche...)
29) Pendant ce temps, au sein du patronat, les Accords sont reçus comme un diktat. La plupart des patrons ne se reconnaissent pas dans la CGPF et hurlent à la trahison. Ils ne supportent pas non plus les congés payés disent que la France va droit à la faillite (classique).
30) La première convention collective signée est celle des Métaux, le 12 juin. Quinze mois après les Accords, 5000 conventions collectives ont été signées.
31) Les négociations ont souvent amélioré les Accords Matignon. Alors que les Accords Matignon prévoyaient des majorations de salaire de 15 % maximum, localement, les syndicats ouvriers parvinrent à arracher bien plus la convention des Métaux prévoient ainsi des augmentations de +22%. La lutte paie !
32) De façon générale, les salaires ont augmenté, les hausses les plus fortes concernant les ouvriers les plus défavorisés, les plus déqualifiés, jeunes, OS, immigrés. Pour les femmes, ça dépend des boites, parfois il y a eu des augmentations mais en maintenant l'inégalité h/f.
33) Reste qu’à partir de septembre-octobre 1936, la plupart des acquis des Accords Matignon semblent rognés. La hausse des prix a vite annulé les augmentations de salaires, mais surtout le patronat a commencé une revanche sociale.
34) Le 4 août 1936, la CGPF est devenu le CNPF (Conseil National du Patronat Français), ce qui n’est pas qu’un changement de sigle, mais surtout un changement de cap Le nouveau mot d’ordre est « Patrons, soyez patrons! » (c’est tout dire !).
35) Dès octobre 1936, Louis Renault, chef de file de ces nouveaux patrons de choc, réduit au strict minimum les droits syndicaux. Il interdit la diffusion des journaux syndicaux dans son usine, restaure la surveillance des vestiaires, rétablit la pointeuse supprimée en 36.
36) Et il licencie sous des motifs divers les responsables syndicaux. Enfin la sale revanche patronale bien dégueue !
(Louis Renault était appelé le saigneur de Billancourt il collabore pendant la 2 GM Renault est nationalisé en répression à la libération)
37) Une flambée de grève en sept-oct réagit à cette revanche sociale du patronat ; ce sont des grèves du ressentiment, de la déception, de l’échec et de la colère.
38) Face à ce nouveau mouvement de grève, Blum convoque à nouveau à Matignon une réunion interconfédérale (confédérations du patronat et du travail). Mais, le 26 novembre 1936, le CNPF refuse la réunion, refuse de s’associer à ce qui aurait pu déboucher sur de 2nds accords Matignon.
39) Et les voici qui bientôt clament... "plutot Hitler que le Front populaire"....
40) Pour ne pas conclure sur cette note morose, rappelons qu’en dépit de cette revanche patronale (qui ne fera que s’accentuer), la généralisation des conventions collectives, la reconnaissance des droits syndicaux ont quand même creusé la tombe du patronat de droit divin.
Car n'oubliez jamais :