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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 1.700 articles.

L'ancien procureur de Nantes revient sur l'affaire Dupont de Ligonnès

INTERVIEW Xavier Ronsin était procureur de Nantes il y a dix ans lorsque Agnès Dupont de Ligonnès et ses quatre enfants ont été assassinés. Le père de famille, principal suspect, n’a jamais été retrouvé.

Il y a dix ans, presque jour pour jour, la famille Dupont de Ligonnès disparaissait subitement à Nantes. Les corps sans vie d’Agnès et de ses quatre enfants seront retrouvés ensevelis sous la terrasse du domicile familial le 21 avril 2011. Le père, lui, manque toujours à l’appel. Xavier Ronsin était le procureur de Nantes à l’époque du quintuple assassinat. Celui qui est devenu directeur de l’école nationale de la magistrature puis premier président de la cour d'appel de Rennes a accepté de revenir sur l’une des plus grandes affaires criminelles françaises et la pression médiatique qui l'accompagne. Entretien.

Pensez-vous souvent à l’affaire Dupont de Ligonnès ?

Incontestablement, il me serait impossible de l’oublier. Je reçois depuis 10 ans des alertes Google sur le sujet presque chaque semaine et les innombrables articles parus, l’effervescence autour du fiasco écossais ou l’engouement autour des numéros spéciaux d’un magazine l’été dernier​ montrent un intérêt soutenu, et qui ne s’apaise pas, des médias et du public.

Comment expliquez-vous cet engouement ?

Je pense que ce drame, qui se déroule au sein d’un cocon censé être protecteur, celui de la famille, trouble profondément chacun et rappelle cette évidence que l’on voit également dans les affaires d’inceste : l’auteur du « Mal » peut avoir un visage familier, et être « bien sous tous rapports ». Cette histoire est aussi une page blanche sur laquelle chacun projette ses fantasmes et l’absence de découverte de Xavier Dupont de Ligonnès constitue évidemment un « robinet inépuisable à histoires » et à des « suites rocambolesques » comme dans une série télévisuelle ou chacun attend le prochain épisode.

En quoi cette affaire criminelle est-elle exceptionnelle ?

Il y a toujours un peu d’exagération ou de suffisance lorsque l’on est enquêteur, procureur, juge ou avocat à proclamer que l’affaire dont on s’occupe est exceptionnelle. Personnellement je me méfie de tous ces qualificatifs. Pour autant, cette affaire est hors norme parce que quatre enfants et leur mère ont été assassinés, que le suspect, certes présumé innocent, est le père et le mari et que, contrairement à beaucoup de drames familiaux, ce suspect ne s’est pas suicidé immédiatement ou dans les heures qui ont suivi. Ce qui est exceptionnel, c’est l’émulation extraordinaire, notamment sur les réseaux sociaux, de tous ceux qui cherchaient à donner une explication à ce drame épouvantable, à apporter des éléments biographiques sur la famille y compris en fouillant des blogs ou des espaces de discussion intimes, puis à découvrir Xavier de Ligonnès dans les endroits les plus improbables du monde. Cette affaire criminelle était la porte ouverte à de nombreux fantasmes et, malheureusement, le plus souvent sans aucun égard pour les familles et amis des victimes dont je plains le calvaire depuis 10 ans au fil des « révélations » et multiples anniversaires. Regardez par exemple le nombre d’articles sur la vente ou la revente de la maison

 

Le 21 avril 2011, jour où l’affaire a éclaté, vous invitez la presse au tribunal pour évoquer la disparition inquiétante d’une famille nantaise. Mais après de longues minutes de retard, vous annoncez finalement la mise au jour de restes humains enterrés. Quels souvenirs en gardez-vous ?

Evidemment cette journée reste dans ma mémoire. La conférence de presse classique que j’avais organisée était prévue pour lancer un simple appel à témoins. Mais cinq minutes avant l’heure du rendez-vous, le commissaire de police qui était avec moi dans mon bureau a reçu un appel téléphonique lui annonçant la découverte d’un premier corps et la crainte que d’autres corps soient enterrés sous la terrasse. Cette annonce m’a conduit à décider de sécuriser immédiatement les lieux contre la venue de curieux, à reprogrammer la suite procédurale et à modifier totalement les « éléments de langage » de ma conférence de presse. Plutôt que de l’annuler, j’ai préféré la maintenir, jouer la transparence et informer « en temps réel » les journalistes. Je me suis ensuite rendu sur place avec mon adjoint.

Votre communication de crise avait été saluée par vos pairs à l’époque. Comment gère-t-on un sujet aussi médiatique ?

Depuis longtemps, j’ai compris qu’il ne fallait pas laisser à autrui le soin de communiquer sur l’action de la justice et que si l’institution judiciaire et ses principaux acteurs se taisaient, il ne fallait pas s’étonner ensuite que l’action de la justice soit incomprise ou critiquée à tort. J’ai donc souhaité, en lien avec le juge d’instruction, traiter à égalité et dans la transparence l’ensemble des médias et répondre le plus complètement possible à leurs questions. Je me suis refusé à provoquer de « fausses fuites » dite de « source proche de l’enquête » ou à faire des confidences privilégiées à certains. Cela n’a pas toujours plu mais, au moins, j’ai constaté que cette diffusion d’information impartiale et pluraliste a contribué à tarir la plupart des faux scoops ou révélations fumeuses.

En octobre 2019, lors de la fausse arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès, vous étiez sorti de votre réserve en vous montrant sévère envers les médias et les « experts de tous poils extérieurs au dossier »…

J’ai une nouvelle fois pensé avec un peu d’indignation au traumatisme occasionné à la famille de Ligonnès. Les médias se sont autorisés à faire leur Une sur l’arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès sur la base de « plusieurs sources concordantes ». En réalité, la seule source fiable était et aurait dû rester le procureur de la République de Nantes, Pierre Sennès, qui détient de par la loi le monopole de la communication sur une affaire judiciaire. La répétition par trois ou dix policiers d’une erreur de compréhension d'un fait par un des leurs n’en fait pas une vérité. Une source policière manifestement parisienne s’est trompée en ayant accès à une information fausse ou incomplète en provenance d’Ecosse, l’a claironné en violation du secret professionnel auquel elle était astreinte et en a fait malheureusement une vérité médiatique puisque aucun ou peu de médias ont accepté le risque d’être quelques minutes en retard d’une information par rapport à leurs confrères. Quant aux « experts de tous poils » je reconnais que l’expression est un peu vive mais je suis toujours sidéré de voir l’aplomb avec lequel sur des plateaux télé ou radio des autoproclamés spécialistes de tel ou tel sujet, surtout en criminologie, affirment leurs certitudes et leurs analyses alors que les investigations ne sont pas terminées et dissertent savamment, ou le croient-ils, sur la culpabilité d’un suspect, sa mort ou sa fuite…

L’absence de coupable une décennie après les faits est-elle un échec pour la justice ?

L’absence d’arrestation ou de découverte d’un corps n’est pas un échec car la « vérité judiciaire » sur les circonstances de ces cinq assassinats a très vite énormément progressé. Dix ans n’est en rien un obstacle insurmontable. La justice c’est aussi la patience si elle fait preuve de persévérance et de professionnalisme, ce qui a toujours été le cas au tribunal de Nantes.

Faut-il envisager un procès même en l’absence du principal suspect ?

Dans une instruction judiciaire, on clôture une enquête lorsqu’il n’y a manifestement plus aucun acte à accomplir. Tel ne semble pas le cas et aucune information d’un possible procès en l’absence d’accusé ne m’a été communiquée.

Lorsque vous étiez encore procureur de Nantes, vous aviez estimé que l’hypothèse du suicide [de XDDL] était « la plus probable ». Votre conviction a-t-elle changé ?

C’était effectivement mon analyse il y a bientôt dix ans. Au regard de mes actuelles fonctions, et n’ayant pas en charge cette enquête depuis 2012, je me garderai de vous communiquer mon analyse actuelle.

Pensez-vous que l’affaire sera résolue dans dix ans ?

Je ne suis pas devin. Prenons rendez-vous pour cette date.

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