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16 Février 2021
Il était une fois Antoine Blondin, une fois seulement comme dans les contes de fées mais durant les deux tiers du siècle, il sema sur sa route tant de petits cailloux blancs qu’on ne le perd jamais de vue. « Tiens, voilà du Blondin ! », s’exclama-t-on en tombant sur un ingénieux calembour. Leur culot nous agacerait à la longue et l’on reprocherait à l’auteur son faible pour « la fiente de l’esprit », si le rire ne nous désarmait et si l’outrecuidant désir d’égaler le maître ne nous rappelait pas à l’humilité.
2D’où sort-il, ce baladin de la plume ? Il s’attribua une lignée de bergers transhumants, les Blondin du Lys, Blondin d’amour, alors qu’il descendait, du côté paternel, de quincailliers prospères. Mais il revendique à juste titre un grand-oncle, du côté maternel, Jean-Casimir Périer, président de la République en 1895 qui, mû par « un sens aigu et précoce de la litote, décida de ne pas faire excéder un septennat au-delà de six mois ». En outre, il eut Colette pour marraine et apprit tout enfant à parler en alexandrins dès que l’on se mettait à table. Comment aurait-il échappé à la littérature ?
3Certes, il n’a pas écrit neuf mille articles comme il le prétendait parfois, rendant grâce à son percepteur : « L’homme à qui je dois tout. » Selon son biographe exemplaire, Alain Cresciucci, il n’accorda aux journaux que quinze cents articles environ dont plus de la moitié sont consacrés au sport. Mes Petits Papiers nous en restitue une centaine si succulente qu’elle incite le lecteur à emprunter sa devise à l’auteur pour réclamer la suite : « Remettez-nous ça. »
Pourquoi a-t-il choisi d’emblée (dès 1948) la presse d’extrême droite ? Qu’a-t-il de commun avec ces journaux dont on a oublié jusqu’au nom : L’Essor, Ici France, La Dernière Lanterne ? Seul Rivarol fête aujourd’hui son cinquante-septième anniversaire. Fraîchement revenu d’Allemagne où le STO le cloua pour deux ans (de 1943 à 1945), le débutant vibre d’antigaullisme, exècre l’épuration, brocarde les « don Quichotte enclins à se faire meuniers comme Malraux à se faire ministre », se gausse de Maurice Schumann, « politicien à haute tension, Phèdre pour le tempérament et Tartuffe pour les convictions », enfin fustige la relève des « engagés » qui, de Maurice Chevalier à Jean-Paul Sartre en passant par « Elsa Triée-sur-le-volet », paradent en tête des bien-pensants. Très peu pour lui les cafés à la mode où « des jeunes filles de bonne famille brandissent leur existentialisme comme un troisième sexe ». Il partage la nostalgie de monsieur Boubal, patron du Flore qui, lui désignant sa nouvelle clientèle, soupire : « Autrefois, monsieur, les pédérastes c’étaient des hommes. »
5À y regarder de près, ce sont d’abord et surtout des raisons littéraires qui ont dicté son choix. « Il me semble qu’à gauche, on écrit moins bien », constate le futur ami de Nimier et de Marcel Aymé, l’admirateur de Céline et de Paul Morand. À preuve : le désespoir de monsieur Blondin père, sympathisant socialiste et fidèle lecteur de L’Œuvre, dont tous les éditeurs refusèrent les manuscrits et qui se suicida en 1948. Le surlendemain de sa mort, son fils entamait L’Europe buissonnière, jouant de son charme pour conquérir tout Paris. Pressé, voire harcelé par Roland Laudenbach, son éditeur, il mit une vingtaine d’années à publier cinq autres romans, sans jamais renoncer à servir dans la presse quelque bonne cause qui passait par là. Mais il se flatte d’échapper à tout classement, « la gauche me rangeant à droite et la droite à gauche », et avoue n’avoir voté que quatre fois dans sa vie, chaque fois pour Mitterrand dont il partageait l’horreur de la peine de mort et la passion pour Jules Renard.
6Était-il un « homme friable », comme le prétendait Michel Audiard, scénariste du Singe en hiver ? Peut-être mais doté d’une volonté inébranlable au service de son bon plaisir autant que du nôtre qu’il prétend « désenliser par une succession d’élans fraternels ». Une fois pour toutes, il se range du côté des exclus, des humiliés et offensés, de la piétaille des commissariats. Il manifestera donc sa solidarité avec les nostalgiques de l’Algérie française, ce qui ne l’empêchera pas de protester contre une mesure de Maurice Papon visant (en 1961) à imposer le couvre-feu aux habitants de la Goutte-d’Or, inaugurant ainsi « le dialogue de la peur et de la haine ». Il va même jusqu’à suggérer aux enfants des « agitateurs » de descendre dans la rue pour crier : « Papa, au bistrot ! »
Fasciné par le couple diabolique Verlaine-Rimbaud, il s’étonne de ne pas être admis parmi ceux que l’on ne nommait pas encore gays. Ne répond-il pas à toutes les conditions après « douze années passées en internat dont quatre dans des institutions religieuses, pépinières de gitons en surplis, livrés à des vicaires lubriques, et d’innombrables nuits dans des chambrées et baraques où les hommes sont censés vivre les uns sur les autres, en proie à une continence assez farouche pour faire sauter les bretelles en même temps que les principes » ? Et son palmarès se clôt sur cet aveu : « Enfin, pour comble, j’ai fait du grec. » Peine perdue, l’orthodoxie de ses mœurs le condamne à ne rallier les « déviants » qu’à distance, « rendant hommage à l’éminente indignité qui pèse sur eux ».
8Franc-tireur imprévisible, ami sans illusion du genre humain, le futur Monsieur Jadis se méfie évidemment du progrès et préfère le passé à l’avenir, fût-ce sur des points de détail frivoles. Ainsi déplore-t-il la disparition des porte-jarretelles autant que celle de la IIIe République. « Que d’os que d’os ! », s’exclame-t-il en voyant défiler des dames vêtues « de béton précontraint ou de plexiglas, sortant des mains de Le Corbusier ». Et pourquoi le grand couturier s’entoure-t-il d’une cour d’éphèbes ? La réponse saute aux yeux : « Dior a besoin des hommes. » Mais il y a pire que « les attrapes-gigots » des minijupes, voilà que dans Mademoiselle Âge Tendre le courrier des cœurs a cédé sa place à « l’atlas des zones érogènes ». L’érotisme n’y survivra pas. « Pourquoi chercherait-on la lune si elle est à portée de la main ? »
9L’âge venant, ayant bouclé son vingt-huitième Tour de France, l’Antoine devenu légendaire s’accroche au souvenir des années somptueuses et bariolées que peuplaient des amis disparus si jeunes qu’ils pourraient aujourd’hui être des héritiers. « Mon passé, je le vis au présent », note-t-il en peinant sur la page blanche. Aussi le dernier ouvrage promis, Le PC des Maréchaux, ne verra-t-il jamais le jour. Une fois pour toutes, l’auteur s’est fixé comme règle du jeu : « Quand on n’a rien à dire il faut le dire à la perfection. » À présent, il n’en a plus la force. Interrogé sur les sentiments que lui inspire la mort, il répond par une citation qu’Ernst Jünger avait empruntée à Léon Bloy : « Je n’éprouve qu’une immense curiosité. » Et que dira-t-il avant le départ ? « J’essayerai de faire mieux la prochaine fois. » Lui seul en serait capable.
Gabrielle Rolin
«Sous l’occupation, les cafés intellectuels, parmi lesquels le Flore jouait un rôle prépondérant, étaient tendus de lourds rideaux bleus qui permettaient d’abriter quelque besogne insolite et grandiose.
Un beau jour, les rideaux s’écartèrent et l’on vit surgir, tout armés, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, bientôt flanqués d’un état-major doté d’un tour de tête respectable. « Ils pensent … Souscrivez ! » s’écrièrent les limonadiers.
Après Passy, la province puis l’étranger vinrent coller leurs nez aux vitres. Ce qu’ils virent fut bien propre à les enchanter. Un agrégé replet et une amazone exemplaire troussaient des concepts en toute simplicité, à deux pas du croquant, comme on fabrique des gaufres. Jamais la métaphysique ne parut plus accessible.
Peut-être, était-on « existentialiste » sans le savoir ? Une certaine jeunesse d’après-guerre trouva là une caution à ses débordements. « Il faut choisir de vivre ou de raconter » a écrit Sartre. Elle choisit de vivre comme Sartre raconte.
On ne saurait toutefois confondre le doctrinaire universellement reconnu et les figurants plutôt sordides de l’existentialisme by-night.
Il reste que ce rigodon des consciences qui se réclamait de lui avait pris des dimensions inimaginables et confuses. Juchés sur des tabourets distraits à la pénombre, secoués par le be-bop, attendris par le punch, des penseurs prétendument nocifs se métamorphosaient en noceurs prétendument pensifs … »