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12 Juillet 2022
La paix est un chant. La guerre est un long hurlement parmi des cris.
Robert Sabatier,
Le livre de la déraison souriante (1991)
Dimanche 14 août 1994....
Direction Coulombs pour les commémorations de la Libération.
Dans notre canton, on commémore le cinquantenaire de la Libération à Villemeux, à Nogent-le-Roi (exposition de matériel et de véhicules militaires), à Coulombs, mais pas dans mon village de Chaudon.
Où le maire, Jean-Jacques Guet, refuse, pour des raisons personnelles et familiales, que cette date soit fêtée.
Etienne Petit, le maire de Coulombs, lui, est très ému :
"A Coulombs, c'est peut-être en demi-teinte qu'en cette fin d'après-midi, nous reçûmes nos libérateurs car nous avions été bombardés. Et puis ces hommes derrière les barbelés des camps allemands dont les familles attendaient les retours..."
Et tout ce qu'Etienne Petit ne dira pas, le frère tué, l'ami fusillé au Mont Valérien, le copain de jeunesse torturé....
Quand je le rencontrerai pour ma tournée "Bonjour Monsieur le Maire", son épouse me préviendra qu'il n'aime pas beaucoup parler aux journalistes.
Notre entretien durera plus de quatre heures !
Liliane Langellier
Papier du Lundi 18 juillet 1994 :
Coulombs n'oublie pas...
Le 12 juillet 1944, un déluge de fer et de feu s'abattait sur la petite commune.
Coulombs, début juillet : pourquoi se tourmenter ? Le front est encore loin. Personne ne peut penser que le pont du chemin de fer serait une cible. Grosse erreur... La ligne Paris - Le Mans est coupée au viaduc de Maintenon entre cette dernière ville et Chartres.
Après quatorze bombardements in fructueux, de courageux résistants font sauter le pont de Cherisy entre Dreux et Paris. Pour alimenter le front de Normandie, les convois font Paris-Maintenon et la Normandie passant par la petite ligne Auneau-Dreux. A partir de ce moment, le pont de Coulombs devient un point stratégique important.
Le 7 juillet, vers 9 heures, 12 bombes tombent entre Coulombs et Chandelles par trois pelotons de six forteresses volantes. Ce sont 12 bombes de 1.000 kilos qui s'abattent sur le village, laissant un spectacle de désolation. Onze maisons ou dépendances sont détruites. On dénombre 11 blessés et 4 morts : Mme Beslay dans sa ferme, Mmes Bonard et Mercier qui passaient dans la rue ; M. Defrain, réfugié de Paris, qui décèdera le 17 juillet.
Le réseau téléphonique allemand est coupé, mais le pont est toujours debout. Il sera à nouveau bombardé le 14 juillet et détruit le 18 juillet. Les Allemands réquisitionnent les hommes valides pour aider à le réparer.
A partir de ce moment-là, de nombreuses attaques aériennes vont se succéder fin juillet et début août. Le pont maudit aura coûté la vie à 14 innocents et en aura blessé plus d'une dizaine d'autres.
Une commémoration émouvante
Mardi 12 juillet 1994, 18 heures. les drapeaux de l'U.N.C. [NDLR Union Nationale des Combattants] prennent place dans l'église Saint-Chéron, avec le sous-préfet, Albert Dupuy ; le maire Etienne Petit et son conseil municipal. Les habitants de Coulombs, de Chandelles et tous ceux dont les familles ont été endeuillées par cette terrible journée. Venus nombreux sous le chaud soleil. La cérémonie sera brève mais poignante.
Mardi 12 juillet 1994, 18 h 45, cimetière de Coulombs. La foule a suivi et a même doublé. Etienne Petit est très ému : "Cette journée n'est pas due à une mode. Il fallait rappeler ces moments tragiques, réactiver notre conscience et transmettre notre mémoire." Albert Dupuy va enchaîner : "C'est l'honneur de cette commune d'avoir une liste longue de ceux qui ont fait le sacrifice de leurs vies, ceux par la grâce desquels nous pouvons crier notre foi en la liberté."
M. le Maire et M. le Sous-Préfet vont déposer une gerbe aux monuments aux Morts. Silence et recueillement.
Etienne Petit, la voix cassée par ces trop lourds souvenirs, invite ses concitoyens à se rendre à la salle des fêtes pour une réception et une exposition commémorative.
Une exposition visuelle et sonore
Seize panneaux attendent les habitants. Seize panneaux de photos et de documents d'époque soigneusement réalisés par Michel Chapet et sa femme Yvette. Dont on remarque, derrière le buffet, le superbe bouquet champêtre tricolore discrètement orné de rubans noirs.
L'évocation sonore sur laquelle M. Chapet a travaillé avec l'aide de M. Buisson est surprenante. Radio Londres, Radio Paris, des illustrations vocales inattendues et la voix, la voix de Michel Chapet lancinante, qui rappelle, avec la précision d'un historien, les terribles épreuves. Les yeux s'embuent. Et lorsque résonne, interprétée par les enfants de l'école Maurice-Glédel, la chanson de Coulombs, beaucoup d'anciens y mêlent leurs voix. "Coulombs mon village est bien joli. Dans la vallée de l'Eure il est blotti..." Un verre est nécessaire pour se remettre de tant d'émotions et pour partager encore et encore avec ceux que l'on a connus, les souvenirs de cet été 1944. Non, Coulombs n'a pas oublié.
Liliane Langellier
Société archéologique d'Eure-et-Loir sur YouTube.
Pour ce terrible bombardement...
Il existe, sur la page internet de la mairie de Coulombs, un texte de Jeanne et François Kowalczyk que je vous reproduis ci-dessous...
"En ce 12 juillet 1944, l’après midi s’étire doucement…
Le débarquement allié a eu lieu le 6 juin. L’espoir et l’impatience de la libération sont dans tous les esprits mais, cependant, depuis le 6 juillet l’inquiétude étreint les cœurs.
En effet, des bombes sont tombées dans les près et les champs de la vallée entre Coulombs et Chandelles. Les ponts, la voie ferrée étaient visés.
Partis depuis plusieurs heures avec l’attelage de chevaux, M. Raphaël Beslay et son employé M. Germain Lecorgne travaillent encore dans les champs sur le plateau.
Il est environ 18 heures.
C’est l’heure de la traite. Mme Clotilde Beslay est à l’étable. En compagnie de son grand-père, M. Pichard (père de Mme Beslay), Marguerite, leur fille, discute avec son amie Marguerite Hébert dans la cuisine de la ferme. Sa sœur, Marcelle, est partie à vélo. Elle livre des fromages dans la rue de la Ribordière.
Mme Angélina Mercier est descendue de la cavée de Houdan où elle réside. Elle rencontre Mme Angèle Bonard, l’épicière, et, ensemble, elles partent par la rue de Chandelles car elles veulent voir les dégâts faits par les bombes tombées la semaine précédente. Elles discutent quelques minutes avec Mme Yvonne Quatreboeufs qui habite non loin de la ferme Beslay. Celle-ci refuse de les accompagner car elle est déjà allée voir les trous de bombe la veille.
Roger, le fils de Mme Bonard, sa femme, ses filles Janine et Ginette entreprennent eux aussi la même promenade mais à peine ont-ils quitté l’épicerie que les bombardiers américains sont là et c’est l’horreur.
À la ferme Beslay, les bombes ont aplati l’étable et presque toute l’habitation, la chaussée est éventrée.
Les maisons voisines sont ébranlées et endommagées par le souffle puissant des bombes.
Des murs de bauge sont écroulés.
La plupart des vitres ont volé en éclat.
Madame Bonard est en partie ensevelie sous un mur de bauge, Madame Mercier gît plus loin au milieu de la rue. Des gens se précipitent dont M. Roger Bonard. Aidé par François Kowalczyk, il retire les blocs de terre qui écrasent les jambes de sa mère.
Les avions reviennent puis s’éloignent à nouveau.
Mme Bonard parle encore mais elle mourra peu après. Sa fille Marie-Louise (Mme Moulenc) se précipite. Ses hurlements résonnent encore aujourd’hui aux oreilles de Jeanne Quatreboeufs (Mme Kowalczyk).
Une échelle sert de brancard, on transporte Mme Mercier inconsciente, elle mourra quelques heures plus tard.
Monsieur Auguste Defrain qui était dans son jardin est lui aussi gravement blessé. Il décèdera le 21 juillet.
À la ferme Beslay, c’est la désolation. La cuisine a résisté, les deux filles et le grand père sont choqués mais indemnes. Par contre, l’étable n’est plus qu’un énorme tas de gravats et de poutres. Mme Beslay est là, sous cet enchevêtrement, c’est sûr…
On s’organise, on pioche, on pellète, on déblaie, on se dépêche car on a entendu quelques gémissements sourds. A près bien des efforts on parvient à extraire le chien de la famille, affolé, mais sauf.
Toutes les vaches sont tuées, trois d’entre elles seront basculées dans les trous de bombe qui ont laissé la chaussée béante.
Pour Mme Beslay, les recherches restent vaines. Pourtant plusieurs soldats allemands sont venus aider au déblaiement. On travaille jusqu’à 2 heures du matin. Les soldats ordonnent l’arrêt des recherches, on se retrouvera dans quelques heures au petit jour.
Vers 8 heures ce 13 juillet François Kowalczyk et Georges Fourmy ont repris les travaux de déblaiement, l’un pioche prudemment, l’autre pellète.
Soudain Georges Fourmy aperçoit du tissu dans les gravats…Clotilde est là…Elle avait donc quitté l’étable avec sans doute le projet de rejoindre la cuisine. Elle a été ensevelie par l’effondrement du bâtiment qui se trouvait face à la cuisine.
M. Chelin et M. Louis Allais sont les premiers à s’occuper de la défunte.
La ferme Beslay n’est plus que ruines. La famille est anéantie par la douleur et le dénuement : plus de maison, plus de vêtements, plus de meubles, plus de volailles, plus de bétail, plus rien…
Le prêtre, M. l’Abbé Barbaste, décide que la dépouille de Mme Beslay sera installée dans la chapelle de la Vierge en l’église Saint Chéron de Coulombs (à gauche en entrant) en attendant les funérailles.
Dès le soir du 12 juillet l’entraide et la solidarité des habitants de Coulombs se sont manifestées. La plupart des habitants de la rue de Chandelles sont relogés dans la famille chez des amis…dans les caves de la cavée de Houdan (32 personnes vivront jusqu’à la libération dans la grande cave chez la famille Rolland).
Mise à disposition par M. Lucien Fourmy, cultivateur, la ferme Binuche (située au carrefour en haut de la rue de Paris et de la cavée du Houdan) accueillera M. Beslay et ses filles.
Terrorisée par ce bombardement qui a rendu sa maison quasi inhabitable, Mme Louise Cesaire se réfugie chez sa fille à Lormaye où elle mourra le 14 août victime du bombardement de la mairie et du pont de la Bretèche…
Et puis, en cet après-midi du 18 juillet vers 15 heures environ, le cauchemar recommence.
Ce pont qui enjambe l’Eure permettant le passage de la voie ferrée Maintenon-Dreux, les Alliés veulent le détruire.
Les bombardiers arrivent en nombre et les bombes pleuvent sur Coulombs.
Puis c’est le silence…et la poussière.
On sort des caves, des abris, des maisons mais on reste au carrefour du Cygne car on ne distingue plus rien ni le pont, ni l’église, ni les maisons…
L’église a été épargnée mais derrière elle, la villa des Roses n’est plus que décombres. De la cave, par le soupirail, on extrait M. Géraud, l’électricien.
Le mur du parc est éventré de part en part.
Sur la place il ne reste que des ruines : la mairie, l’école des garçons et au fond, la villa du Baptistère, sont béantes, éventrées.
Dans le parc de la propriété de M. Haranger une maisonnette a été, elle aussi, détruite et à proximité on découvre deux victimes gravement blessées : M. Augustin Durand et M … ….. chantre de l’église de Nogent-le-Roi.
Tous deux décèderont quelques jours plus tard."
Ce texte est à lire dans :
Site sur l'histoire de la commune par Roger TEMPETE http://www.coulombs28monvillage.tk Souvenirs de l'été 1943 SOUVENIRS, SOUVENIRS, UN ETE 1943 La ville de Nogent-le-Roi organisa début 1943 une...
Le site de fla mairie de Coulombs.
LES GUERRES À COULOMBS (TROISIÈME PARTIE - 1922 à 1997)
Cette dernière partie couvre la période entre les derniers combats liés à la guerre 1914-1918 se déroulant en Orient en 1922 et l'année 1997 où il a été décidé de suspendre le service mi...
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