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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Le 12 janvier 1953 le «procès d’Oradour» débutait à Bordeaux.

Le 12 janvier 1953 le «procès d’Oradour» débutait à Bordeaux. Les accusés sont jugés pour la tuerie perpétrée en juin 1944 dans le village du Limousin. Récit du quatrième jour d’audience...

Oradour et les «Malgré-Nous». Le 12 janvier 1953 commencent devant le tribunal militaire permanent de Bordeaux les débats du procès du drame d’Oradour-sur-Glane. C’est dans ce village du Limousin qu’une unité blindée de la Waffen SS, lors de la Seconde Guerre mondiale, massacre le 10 juin 1944 plusieurs centaines de civils de tous âges. Sur le banc des accusés aucun donneur d’ordre mais des exécutants: sept soldats allemands-dont l’adjudant Karl Lenz, le plus haut gradé retrouvé- et quatorze Alsaciens. Dès l’ouverture du procès le Président Nussy-Saint-Saëns précise dans une courte déclaration que «Le véritable procès est et demeure le procès de l’hitlérisme.»

 

Les accusés français, considérés comme des sujets d’une puissance ennemie

Parmi les prévenus français, un engagé volontaire dans les SS, Georges René Boss, et treize hommes incorporés de force dans la Waffen SS. Neuf années après les faits incriminés, ils sont jugés en raison de la loi du 15 septembre 1948, qui établit rétroactivement une présomption de responsabilité collective pour les SS. Ces prévenus étaient de jeunes gens au moment du massacre, certains n’avaient que 16 ans. Le chroniqueur judiciaire du Figaro, Pierre Scize, précise dans l’édition du 13 janviers 1953: «Douze hommes sont en liberté provisoire depuis cinq ans. Ils travaillent. Ils sont facteurs, chauffeurs, agriculteurs, inspecteurs de police, bouchers, employés de gaz. Plusieurs se sont mariés.» Et nombreux sont devenus des pères de familles nombreuses. Le journaliste poursuit en imaginant la scène de leur départ pour Bordeaux: «Ils ont embrassé leur femme et leurs enfants. Ont-ils pensé alors à cette église hallucinante où 207 gosses ont brûlé avec leurs mères? Je parie que non. Je parie bien qu’aucun d’entre eux n’a eu de mauvais souvenirs quand la bouche fraîche de leurs enfants s’est appuyée sur leur joue. Ils n’ont pas pensé aux voix qui hurlaient quand de douces voix leur ont dit “au revoir, papa”. Je parie bien que les faits monstrueux qu’on leur reproche leur semblent avoir été accomplis par d’autres, il y a longtemps, dans un autre monde. Une autre vie….»

Un verdict qui ne satisfait personne

De nombreuses protestations émisent entre autres par l’archevêque de Strasbourg, le Général Weygand, François Mauriac, Jules Romains, et les anciens combattants alsaciens enrôlés de force dans la Wehrmacht...se sont élevées avant le procès concernant la présence des Malgré-Nous dans le box des accusés.

 

Le verdict tombe le 12 février 1953. Côté allemand: une condamnation à mort est prononcée contre Karl Lenz, des peines de prisons et travaux forcés de 10 à 12 ans pour les autres et 44 condamnations capitales par contumace. Côté français: la condamnation à mort de Georges René Boss -«le traître»-, pour les autres, reconnus coupables à l’unanimité, des travaux forcés et des peines d’emprisonnement de 5 à 8 ans. C’est la stupeur dans le prétoire. L’Alsace, qui attendait le retour de ses fils, est sous le choc. L’émotion est considérable et la colère prédomine dans l’opinion publique, qui considère le jugement comme une injustice pour ces Malgré-Nous. Les maires d’Alsace manifestent à Strasbourg contre le verdict. La contestation et l’indignation sont telles qu’une loi d’amnistie est votée en urgence par les députés le 21 février 1953. L’indignation et le mécontentement gagnent alors le Limousin. À l’entrée d’Oradour les noms des députés ayant voté l’amnistie sont placardés. Entre les deux régions un immense fossé s’est creusé. L’incompréhension de part et d’autre est profonde, durable.

Retrouvez l’intégralité du récit de Pierre Scize, au quatrième jour d’audience: l’énumération des 642 martyrs, et l’audition de l’adjudant allemand Lenz -qui dit ne rien savoir de ce qui s’est passé ce dramatique 10 juin 1944.

Article paru dans Le Figaro du 17-18 janvier 1953.

Au procès des criminels d’Oradour

L’adjudant Lenz qui n’a rien vu rien fait, rien compris prétend tout ignorer de la tragique journée du 10 juin 1944.

La lecture de pièces de procédure est terminée, les accusés répondent à l’interrogatoire au fond. Le procès largue enfin ses amarres et file vers la haute mer. Il était temps. Touchant ces lectures infinies, il est apparu à tout le monde que la justice militaire aurait tout avantage à confier la rédaction de ses actes à des gens pourvus au moins de leur certificat d’études et non point à des scribes en délire, jaloux des lauriers du plus lyrique feuilletoniste.

On a trouvé le moyen de nous dire que les 642 victimes du massacre d’Oradour étaient mortes «pour la plus grande gloire de la France»! II n’est pas besoin d’insister sur l’indécence de ce propos. Non, la gloire de la France ne requiert pas de tels sacrifices humains; elle ne demande pas que 350 enfants, femmes, bébés à la mamelle soient entassés dans une église et brûlés. Disons plutôt que les 642 martyrs d’Oradour sont morts pour la plus grande honte du Reich hitlérien. Le mieux dans un acte de pure procédure serait encore d’éviter ces formules avantageuses et creuses et de s’en tenir aux seuls faits. Ils parlent assez, eux.

Comment reconnaître les bourreaux?

Nous avons entendu le début de la confession de l’adjudant Karl Lenz. Nous allons en ouïr la suite.

 

Il serait vain d’espérer que ces hommes qui ont eu le temps depuis huit ans que l’incurie de la justice militaire les retient en prison de se constituer des systèmes de défense cohérents s’accusent eux- mêmes. Lenz a choisi cette attitude, absurde mais très forte dans son absurdité, de tout nier en bloc et de ne rien savoir de la tragique journée. Comment prouver le contraire de ce qu’il dit? Quels témoins invoquer? Les rares rescapés d’Oradour sont eux-mêmes incapables de reconnaître leurs bourreaux dans ces hommes calmes en complet veston fripé, qui sont accroupis dans le prétoire. C’est qu’en effet ils devaient être très différents, et tellement semblables les uns aux autres sous le casque plat, bottés, hagards, ivres, hurlants, hideux.

Ainsi une jeune fille d’Oradour fut sauvée parce qu’un soldat allemand, un de ceux qui sont là peut-être, l’empêcha de rentrer dans le village, elle en convient -et qu’elle doit la vie à ce soldat. Mais quand celui qui se vante de l’avoir sauvée est devant elle, elle ne peut plus le reconnaître. Il n’y a aucune mesure entre les reîtres de 1944 et les sages jeunes gens de 1953.

Et les accusés alsaciens? Ils ne sont pas mal, merci. La perspective d’une disjonction qui les eût amenés devant la cour d’assises leur avait fait très peur. Aujourd’hui que toute l’Alsace met ses drapeaux en berne pleure dans ses églises, devant ses monuments aux morts et multiplie les protestations indignées, les accusés alsaciens, tout au rebours, sont parfaitement satisfaits de se voir à côté, de leurs anciens camarades de combat. Ils savent que c’est à ce voisinage qu’ils devront d’être traités, sans trop de rigueur. Qu’importe, n’est-il pas vrai? que des millions de Français innocent se sentent, outragés, si ces douze-là sont rassurés!

Le pathétique appel des 642 martyrs

-Accusés, levez-vous!

D’une même détente de leurs jeunes jarrets, les dix-neuf se sont dressés.

-Monsieur le chef du service d’ordre, veuillez commander: garde à vous!

Les talons de la garde claquant avec ensemble.

-Messieurs les juges, je vous prie de vous lever!

Tout le monde est debout. Un silence extraordinaire descend soudain sur l’assemblée.

-Monsieur le greffier, continuez votre lecture.

 

Le greffier, lisant le long acte d’accusation, au cours de l’audience d’hier, en était arrivé au moment où il lui fallait énoncer les noms des victimes d’Oradour. Tous les noms. Ceux des cinquante-deux identifiés de qui on a pu dresser des actes de décès. Ceux des cinq cent quatre-vingt-dix disparus dont on n’a rien retrouvé qu’un peu de cendre grise, quelques ossements calcinés. Le greffier commence à faire cet appel des morts. Nous touchons à un très haut moment de ce procès monstrueux. Le plus haut sans doute. Tout s’est effacé soudain dans cet invraisemblable prétoire, qui n’est pas recueillement, souvenir, larmes.

Tout à l’heure cette salle ressemblait à un foirail, mais il vient d’y entrer six cent vingt-cinq âmes de martyrs. Le greffier, dont la voix chavire très vite, les appelle tous. Les vieux qui s’appuyaient sur deux cannes, les petits qui allaient gaiement sous la conduite de leur maître, le vieux curé, le maire, les Lorrains réfugiés, les hommes, les femmes, les petites filles qui nouaient un ruban dans leurs cheveux et qui demandent pourquoi on va à l’église à cette heure insolite, et parmi elles celle qui vient d’inscrire sur son ardoise: «Je prends la résolution de ne plus jamais faire de peine à personne.»

Une lecture de cauchemar

 

Il appelle des familles entièrement exterminées: les quatorze Bordet, les dix Hyvernaud, les sept Miozo dont le père était venu d’Italie travailler la bonne terre limousine, les six Pontaraud, les cinq Rouffanche, famille dont il ne devait plus demeurer, au soir de cette journée, que l’austère vieille dame que nous avons vue ici, à jamais murée dans son deuil éternel.

Des larmes étaient dans bien des yeux, des larmes qu’on n’essuyait pas et qui laissaient des traces brillantes sur les joues pâles. Là-bas, le tribunal au garde-à-vous semblait de pierre. Le président, sévère, les yeux perdus droit devant lui, revêtait soudain une majesté singulière. Le greffier lisait, lisait toujours. Quant au bout de vingt-cinq minutes il s’arrêta, toute la salle demeura un instant comme devant une énorme fosse ouverte où les os des martyrs avaient été versés en masse. On sortait de cette lecture ainsi que d’un cauchemar.

Après quoi, l’acte d’accusation poursuivit son cours, atteignit à sa péroraison, et le président fit procéder à l’appel des témoins. Ceux qui étaient présents dans la salle la quittèrent. Il était 5h30 de relevée: au quatrième jour de son ouverture, le vrai procès des massacreurs d’Oradour-sur-Glane commençait enfin.

 

L’adjudant Lenz n’a rien vu rien fait, rien compris...

L’accusé allemand Lenz, adjudant, le plus haut gradé qu’on ait pu retrouver, vient à la barre. Il ne semble pas intimidé le moins du monde. Avec lui, et sans doute avec tous ses compatriotes, nous allons apprendre à conjuguer ce verbe «finassieren» dont notre finasser ne donne, paraît-il, qu’une idée approximative.

 

Karl Lenz est né en 1915 et il a grandi dans l’Allemagne vaincue de 1918, si déchirée, en proie à tant de démons contradictoires, grand corps malade, oscillant de l’extrême-gauche à la dictature militaire. Jeune homme émoulu des écoles primaires lors de l’avènement de Hitler, il entra tout naturellement dans les formations de la jeunesse hitlérienne, où le IIIe Reich forgeait des hommes dressés à l’obéissance la plus fanatique. À l’âge de partir pour l’armée, il fut -c’est encore dans la ligne de ce garçon- volontaire pour le corps «d’élite» des Waffen SS. Sous cet uniforme il fit la guerre des Sudètes, en 1938, et reçut la médaille commémorative de cette guerre préparatoire à la vraie, qui allait éclater bientôt.

-Il est exact que j’ai cette décoration, dit-il par le truchement de l’interprète. Mais je n’ai absolument rien fait dans les Sudètes. Mon unité n’a pas été engagée.

-Tiens, dit tout à tract M. le président, je croyais qu’il n’y avait que chez nous. (Rires dans la salle.)

Au surplus, Lenz, s’il faut l’en croire, semble avoir eu une solide vocation d’embusqué. Ce SS, en 1938, entra dans la Luftwaffe. Mais ce ne fut pas pour bombarder Paris, Londres ou Coventry et, certes, nous ne le lui reprocherons pas. Ce fut pour être garde-nippes. D’autres se battaient en France en Yougoslavie, en Pologne, en Grèce, en Russie. Pas lui. C’était un doux, un pacifique, il mettait de la naphtaline dans les beaux uniformes des faucons de Goering. Ceci jusqu’en 1943, année, comme on dit, cruciale où les revers du IIIe Reich en Afrique et en Russie firent racler les fonds de tiroir et sortir les embusqués de leurs «planques».

 

On le versa donc dans la 3e compagnie de ce régiment «Der Führer» de la division «Das Reich» qui accomplit le fait d’armes à jamais célèbre qui l’amène ici, aujourd’hui. Mais là encore Lenz ne se bat guère. Toujours s’il faut l’en croire, bien entendu. Il voyage. Il fait l’instruction des recrues à Karkhov, à Cracovie, à Prague. Puis on l’envoie en repos (au fait de quoi se reposait-il?) en France où sa division est répandue en Haute-Garonne, dans les Landes et le Tarn. Il connaît ainsi Moissac, Montauban, Valence-d’Agen. Là, il a «des mots» avec son capitaine, M. Kahn, contumax et principal responsable du massacre d’Oradour.

Il faut le dire. À tous les défauts qu’on lui connaît, ce Kahn ajoute celui d’être discourtois. Lenz et lui ne sont pas d’accord sur certains points. L’art et la manière d’instruire des recrues est un de ceux- là.

«Le capitaine m’a tenu des propos désobligeants. Alors je me suis désintéressé totalement de tout ce qui se passait à la compagnie».

Voilà justement ce qui fait que Karl Lenz, à Oradour, n’a rien vu, rien fait, rien compris. Il boudait dans son coin. Il ne sait rien. Pas même si sa section possédait ou non des grenades, pas même si elle était munie de mitrailleuses, et pas même si ces mitrailleuses, à supposer qu’elles existassent, avaient une cadence de tir de 3.000 ou de 1.500 coups par minute!

«1.500, ce n’est déjà pas mal», dit le président, connaisseur.

Cette comédie dont on a assez vite apprécié l’esprit risque de se prolonger quelques jours encore.

Par Pierre Scize

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