Jean Garrigues, professeur d'histoire contemporaine à l'université d'Orléans, s'est penché sur de drôles d'histoires qui se sont déroulées à l'Élysée, cet hôtel particulier devenu par la suite palais présidentiel.
La réputation libertine de l’Élysée a-t-elle toujours existé ?
Oui. Cet hôtel particulier a été édifié par le comte d’Evreux. Le jour de l'inauguration, en 1720, il demanda à son épouse légitime de se retirer dans son manoir de province pour y vivre avec sa maîtresse, alors que le bâtiment avait été construit grâce à l'argent de sa femme, issue d'une très riche famille ! Dès l’origine, le sceau de l’érotisme et du plaisir a été apposé sur cet hôtel particulier, et ne s’est jamais arrêté.
Sous l’Empire, Caroline Murat Bonaparte a eu une vie très légère, Murat, son mari, aussi. Quand l’édifice est devenu palais de la République en 1848, Louis Napoléon Bonaparte l’a utilisé pendant 4 ans : beaucoup de maîtresses y ont défilé. J’évoque les « petites impératrices » de Napoléon III, les mondaines d’Adolphe Thiers, les comédiennes peu farouches de Félix Faure, mort dans les bras de sa maîtresse, même si les présidents, sous les IIIe et IVe République, ont été moins séducteurs.
Quelle est, selon vous, l'histoire la plus croustillante ?
Le maréchal Pétain a construit le régime de l’État français, Vichy, sous le triptyque « Travail, famille, patrie », fait d’ordre moral, de valeurs chrétiennes et familiales, alors qu’il avait une vie privée dissolue. Il s’est marié très tard, a multiplié les aventures extraconjugales, et, à plus de 80 ans, se vantait de recevoir encore ses maîtresses. Il y a un contraste terrible entre sa vie privée et sa vie publique.
Comment expliquez-vous les nombreuses frasques sous la Ve République ?
Lorsque la fonction de président de la République est devenue synonyme de toute puissance, il y a eu une frénésie de conquêtes amoureuses, comme s’il y avait un lien entre la puissance de celui qui exerce le pouvoir politique et la puissance aphrodisiaque. Cette frénésie est allée de pair avec l’exception d’un pouvoir monarchique républicain... comme sous la monarchie de l’époque, quand la marquise de Pompadour procurait de jeunes proies à Louis XIV.
Avec #MeToo, les Français sont-ils aussi indulgents aujourd’hui ?
Non, du tout. La France s’est plutôt amusée du décès de Félix Faure mort dans les bras de son amante et de l’incident du laitier de Valéry Giscard d’Estaing qui avait heurté une camionnette à 6 heures du matin en compagnie d’une jeune femme dont on a dit qu’elle pouvait être Marlène Jobert. La France n’a été choquée ni par la double vie de François Mitterrand ni par les maîtresses de Jacques Chirac. Cette indulgence envers les présidents séducteurs, coureurs de jupon et, en fait, prédateurs, témoignait d’une forme d’inégalité hommes-femmes. Ce n’est plus admis aujourd’hui.
Propos recueillis par Anne-Marie Coursimault