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27 Décembre 2020
Il a été journaliste à la radio et la télé, patron de Canal+, il dirige le Festival de Cannes.
A 75 ans, l'ancien Enfant du rock mène toujours sa vie à 100 à l'heure, et se dévoile dans un documentaire diffusé ce dimanche sur France 5.
L'article de Benoît Daragon dans Le JDD du 27 décembre 2020.
Notre séance photo s'éternise, mais un brin de malice continue d'illuminer son regard. Pierre Lescure marche à l'affect. Il suffit de le faire rire pour l'avoir dans la poche. Mais quand on le fait asseoir dans un fauteuil vichy marron, mains sur les accoudoirs, il tique illico. « Que je n'aie pas l'air de Don Corleone, hein? » sourit-il. Pourtant, il suffit de le voir embrasser les plus grandes stars de la planète dans son smoking impeccable en haut des marches du Festival de Cannes, dont il est le président, pour s'en rendre compte : à 75 ans, le journaliste est indéniablement devenu un « parrain ». Intouchable après une carrière maousse costaude. Ne comptez sur personne pour dire du mal de lui. Les langues de vipère sont aux abonnées absentes. Touche pas à la légende.
Les amateurs de musique n'ont jamais oublié son émission « les Enfants du rock ». Dans le milieu du cinéma, ils sont nombreux à pouvoir dire merci à ce cinéphile gourmand, au réseau tentaculaire, toujours prêt à passer des coups de fil pour faciliter un projet. Mais pour le grand public, il est avant tout l'homme qui a inventé Canal +. Les gamins des années 1980 et 1990, qui ont été biberonnés aux Nuls, à « Nulle Part Ailleurs » ou « les Guignols », lui tirent leur chapeau. Même ceux qui honnissent « l'esprit Canal », applaudissent la réussite économique d'une chaîne reconnue dans le monde entier. Bref, Pierre Lescure est à un rien du César d'honneur.
En attendant, il savoure le touchant portrait de lui que France 5 diffuse ce dimanche à 18h50 (« Pierre & Lescure », documentaire inédit de Maxime Switek et Philippe Lezin, 55 minutes). Dans ce documentaire, projeté au dernier Festival de Deauville, il se livre comme rarement. Et ne cache pas ses difficultés financières. Un comble pour un ancien patron du CAC 40, qui façonne son image de rock star.
Après ses débuts à RTL puis RMC, Pierre Lescure (ici, avec Charles Aznavour) a fait les belles heures d’Europe 1. Archive personnelle
Car rien, absolument rien, ne prédestinait le petit Pierre à devenir un « mogul », comme il surnomme les grands patrons. D'autant moins qu'il a été élevé dans une famille communiste (son père, François Lescure, fut un journaliste emblématique de l'Humanité, sa mère, Paulette Baudoin, est journaliste, et son grand-père un éditeur réputé). Il peut leur dire merci de lui avoir inculqué l'amour du cinéma, de la littérature, de la photo, des artistes et du rock.
Dans l'appartement de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) où il grandit, on regarde vers l'Est politiquement. Mais culturellement, on ne s'interdit pas d'admirer les Etats-Unis. Le fils unique a de la chance d'avoir une famille peu dogmatique. « J'ai eu le cul bordé de nouilles », répète Lescure dans les locaux de Troisième Œil, qui produit « C à vous », d'Anne-Elisabeth Lemoine, où il tient chronique. « Mais franchement, est-ce que je l'ai volé? » ajoute-il en souriant.
Sa carte chance, il la pioche dès l'âge de 20 ans. Tout juste à la sortie de l'école de journalisme, il est embauché par RTL, à l'aveugle. « Philippe Gildas, qui dirigeait la station, était très content des trois stagiaires d'été issus de ma promo. Il leur a demandé s'ils en connaissaient un quatrième. J'allais signer un CDI au Provençal, mais j'ai filé tout droit à Paris », raconte celui qui, 20 ans plus tard, fera de Gildas le visage phare de Canal +.
Mais RTL ne jure que par les stars. Impossible pour le jeune pressé, persuadé qu'il va mourir à 33 ans, d'être autre chose que la petite main de Georges de Caunes. L'enfant gâté préfère filer à RMC, qui lui offre 3h30 d'antenne quotidienne avec son camarade Jean-Michel Desjeunes. « Coincé à Monte-Carlo, on est complètement passés à côté de Mai 68! Comme il ne se passait rien, on a laissé tout notre temps d'antenne aux reporters sur les barricades », se souvient le journaliste, qui vit cette séquence en dilettante : « Il y avait pénurie de kérosène à l'aéroport de Nice, donc Julien Clerc, qui était venu pour de la promo, ne pouvait pas rentrer chez lui. On a passé deux semaines à s'amuser! »
C'est sur les ondes qu'il peaufine son style, inspiré des médias anglo-saxons : ce qu'on appelle aujourd'hui « l'infotainment ». « L'air de rien, ce mec a créé le journalisme que j'aime. Il était sérieux sans se prendre au sérieux. Dans les années 1960, cela ne se faisait pas. C'est un pionnier », rend hommage le journaliste de BFMTV Maxime Switek, qui réalise ce documentaire énamouré sur son ancien voisin de bureau de « C à vous ». De RMC à Europe 1, Lescure est, dans les années 1970, l'un des tout meilleurs journalistes de sa génération. Son ascension est foudroyante. L'équivalent d'un Patrick Cohen ou d'un Nicolas Demorand, mais qui n'aurait fait que des bons choix de carrière.
Pierre Lescure, une vie de rock star
Il a été journaliste à la radio et la télé, patron de Canal+, il dirige le Festival de Cannes... A 75 ans, l'ancien Enfant du rock mène toujours sa vie à 100 à l'heure, et se dévoile dans ...
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