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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

La crèche napolitaine, chef-d'œuvre de Noël

 

On en croise dans certaines églises ou musées, assez rarement en France, le plus souvent en Italie. Surtout à Naples, où ces crèches continuent d'être fabriquées selon un savoir-faire ancestral. Les plus grandioses des crèches napolitaines mettent en scène la nativité du Christ dans une composition très théâtrale, avec des ruines romaines en guise d'étable, où Joseph et Marie, très maniérés, veillent sur Jésus entourés d'une armée céleste d'anges et de séraphins.

Tout autour, une abondance de santons qui peuvent atteindre parfois 40 cm de haut, voire plus, tous vêtus avec art et minutie selon les codes du XVIIIe siècle : d'abord les bergers, puis les rois mages, recouverts de riches étoffes, avec leur immense cortège d'orientaux, de maures, d'odalisques, de janissaires, de pages, de musiciens, dans une profusion de couleurs et de richesses… Et enfin tout le petit peuple de Naples grouillant autour de l'auberge, scène obligée du décor : le pêcheur, le boucher, les bourgeois et brigands, chasseurs, mendiants, gitanes, bossus, tous si expressifs qu'on les dirait tout droit sortis d'un film de Federico Fellini.

 

Rococo

Si la tradition de la crèche est née avec celle conçue au XIIIe siècle par Saint François d'Assise, la crèche napolitaine prit son essor au XVIIe siècle, au moment de la contre-réforme : le baroque trouve là toute sa mesure dans la mise en scène spectaculaire de la naissance du Christ. Les Napolitains, très friands des crèches, vont alors complètement renouveler sa forme et son décor dans l'esprit en vogue du Rococo. On se met à fabriquer des santons articulés, faits de corps d'étoupe armée de métal, facilement pliables, des sortes de poupées costumées avec des têtes, des mains et des pieds en bois ou en terre cuite, la fameuse terracotta, qui permet de donner aux visages des traits particuliers : carnation délicate, air patricien, cicatrices apparentes, orbites creusées, verrues disgracieuses, qui font le charme de ces santons folkloriques – « pastori », en italien.

Course à la plus belle crèche

C'est alors qu'on voit une frénésie s'emparer des Napolitains : c'est à celui qui possédera sa plus belle crèche de Noël, étalée sur plusieurs mètres dans une mise en scène sophistiquée. Églises, monastères, congrégations, bourgeois et aristocrates, tous se lancent dans des concours dispendieux faisant vivre des générations d'artisans, maquettistes, tailleurs d'habits… Mais aussi des peintres pour réaliser les toiles de fond, des orfèvres pour reproduire les joyaux des rois mages en argent véritable, et enfin des sculpteurs renommés comme Lorenzo Mosca ou Giuseppe Sanmartino, les plus célèbres de l'époque. Vers le milieu du XVIIIe siècle, ces entreprises artisanales de luxe étaient si sollicitées qu'elles réussirent à multiplier par quatre le prix de base de l'argent en circulation, la demande étant trop forte !

De véritables concours s'organisent, on expose les crèches de Noël jusqu'à la Chandeleur, les gazettes évoquent les plus belles, il faut surprendre, séduire, investir toujours plus dans les décors et les personnages, quitte à risquer la banqueroute… Au XVIIIe siècle, la chronique rapporte que le roi Charles III en personne occupe ses loisirs « à fabriquer des petites briques pour les cuire, à disposer le liège et modeler les cabanes, architecturant les lointains pour y situer les bergers », tandis que la reine Amélie « tissait, cousait et brodait les vêtements ».

Lent déclin

Tout devient sujet d'inspiration : les fouilles de Pompéi donnent de nouvelles idées aux décorateurs, on place désormais la nativité dans les ruines d'un temple antique, inspirées de celles de la cité du Vésuve, comme pour signifier la victoire du christianisme sur les ruines du paganisme… Les nombreuses ambassades orientales qui défilent dans la ville se retrouvent vite imitées dans le fantastique cortège des rois mages, qui peut compter une cinquantaine de figurines richement parées. En 1742, un énorme éléphant envoyé par un sultan des Indes fit une telle sensation sur les habitants que les artisans santonniers s'appliquèrent à le reproduire fidèlement…

Un lent déclin suivit cet âge d'or, la mode finit par passer, les crèches firent leur entrée dans les musées… Mais la tradition reste encore vivace à Naples, notamment dans la rue San Gregorio Armeno, dans le vieux centre, prise d'assaut par les Italiens avant les fêtes de fin d'année : c'est là que se perpétue le vieil art des crèches napolitaines, avec des santons pour tous les goûts et toutes les bourses, le pire côtoyant parfois le meilleur. En chinant dans les ruelles, vous trouverez des artisans qui fabriquent des décors peints, en liège et en bois, et des sculpteurs travaillant leurs commandes pour des églises ou des particuliers – compter au minimum 100 euros pour un santon de 12 centimètres, avec habit et accessoires. Outre la maison Ferrigno, présente depuis des générations, on compte également quelques jeunes maîtres artisans comme Fulvio Forte ou Ulderico Pinfildi, qui sont installés au cœur de l'antique cité. Un art vivant et précieux, qui tente de lutter contre le made in China ravageur.

 

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