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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.400 articles.

Félix Vallotton né à Lausanne le 28 décembre 1865...

 

Félix Vallotton (1865-1925) est à la fête : le Grand Palais a consacré à son œuvre l’une des grandes expositions de l’automne 2013. Il y a de quoi faire : cet artiste méconnu et inclassable s’est illustré dans tant de domaines, de la peinture à la gravure, en passant par la caricature et le dessin… et la littérature ! Car ce peintre fut aussi romancier, et homme de théâtre.

Un ouvrage savoureux et documenté, signé Jean-Jacques Breton, le rappelle fort à propos en détaillant toutes les facettes de cet artiste-caméléon. Dans ce «Vallotton, Il fut lui-même» (Hugo & Cie), on découvre notamment une pièce de théâtre inédite écrite en 1904. Elle s’intitule «Un homme très fort». Elle ne hantera sans doute pas la postérité, mais reste assez amusante: c’est un vaudeville plein de bons mots, où un certain Alfred tente d’échapper à la concupiscence des femmes. Une démonstration élégante, en somme, de cette misogynie amusée de Vallotton qu’on retrouve par ailleurs dans son Journal :

Qu’est-ce que l’homme a fait de si grave qu’il doive subir cette terrifiante associée qu’est la femme ?»

Si le jeune Vallotton, né à Lausanne, monte à Paris en 1882 juste après avoir décroché son bac pour poursuivre sa formation d’artiste-peintre (l’Académie Julian et l’Ecole des Beaux-Arts lui serviront de tremplin), ce sont ses talents de caricaturiste qui lui ouvriront les portes du Tout-Paris littéraire: il commence à dessiner pour «la Revue blanche», installée à Paris depuis 1891. La revue est aussi une maison d’édition, elle rassemble des membres du groupe Nabi, et soutient du beau monde: Jarry, qui deviendra un ami de Vallotton, y a publié «Ubu roi».

 

Le jeune artiste s’y fait en tout cas suffisamment repérer pour que Remy de Gourmont, le grand manitou des lettres françaises de l’époque, l’invite à illustrer les deux volumes de son «Livre des masques» : des portraits d’écrivains parmi lesquels se trouvent Jules Renard, Maurice Maeterlinck, Verhaeren, Pierre Louÿs, Lautréamont, Mallarmé, Villiers de l’Isle-Adam, Corbière, Rimbaud, Gide, Huysmans, Laforgue, Verlaine, Barrès, Félix Fénéon, Léon Bloy, Francis Jammes, Marcel Schwob, Paul Claudel… Excusez du peu.

De l'anarchisme aux tranchées de Verdun

Mais «La Revue blanche» permet aussi au jeune artiste d’exprimer ses idées politiques: il se fait entendre lors de l’affaire Dreyfus, défendant l’officier à travers plusieurs dessins, caricatures et couvertures remarquées.

Vallotton fréquente également les milieux anarchistes. Par exemple l’écrivain Pierre Quillard, de «la Revue blanche», que Vallotton connaît bien. C’est le genre d’homme à écrire:

Il faut avouer que l’explosion de quelques bombes de dynamite frappe de terreur les esprits vulgaires. Mais cet affolement de surprise dure peu (…). Au contraire, la puissance destructrice d’un poème ne se disperse pas d’un seul coup, elle est permanente et sa déflagration certaine et continue : et Shakespeare ou Eschyle préparent aussi infailliblement que les plus hardis compagnons anarchistes l’écroulement du vieux monde».

Notre personnage garde donc une âme anticonformiste, comme l’exprime son ami Thadée Natanson :

Même quand il put s’envelopper d’une robe de chambre douillette, (…), il a toujours conservé la façon de voir de ceux qui ne regardent la propriété que de derrière ses grilles, et jamais renoncé à sa haine native des chiens et des sergents de ville. Voire de ceux qui gardaient sa maison.»

La Grande Guerre marque la peinture de Vallotton, mais aussi son écriture : «la Vie meurtrière», son roman publié en 1927 de manière posthume, contient notamment une puissante description du retour des soldats en ville pendant une débâcle. Voyez plutôt, on dirait un tableau (de Vallotton?) :

Au jour ce fut pis encore ; il en arrivait à toute heure et le flot ne cessait plus. Des petits «moblots» exsangues, blottis dans des peaux de mouton, des cavaliers à pied, des fantassins juchés à deux sur de misérables chevaux à la queue rongée, aux flancs vidés, des turcos en braie de toile que la dysenterie leur collait aux cuisses, des nègres, des volontaires de toutes langues et de tout poil, des aventuriers, des bandits, des femmes et jusqu'à des prisonniers allemands qui traînaient leurs loques dans cette déroute.»

Engagé, Vallotton l’est jusqu’au bout. Il écrit aux autorités en août 1914 pour se mettre à leur disposition, mais est déclaré «hors d’âge pour le service». Ecœuré par la vantardise lâche de l’arrière, il écrit alors dans son Journal :

C’est effrayant ce qu’il y a de héros dans les salons en ce moment. (…) Pour ma part, je préfère ces blessés simples à qui, lorsqu’on leur demande s’ils se réjouissent de retourner au feu, répondent ‘‘non’’ tout simplement mais retournent à l’heure dite, comme au travail journalier, et attendent leur sort, sans gestes inutiles.»

Vallotton sera pourtant «mobilisé » à sa manière en 1917 : il fait partie des peintres envoyés en mission pour peindre la vie des tranchées. Résultat : un Verdun apocalyptique où il s’affranchit du réalisme.

 

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