1 Décembre 2024
Des filles et des auteurs
Hugh Hefner n’a pas inventé les magazines masculins présentant des jeunes femmes dénudées mais revendiquant une certaine qualité. Avant de lancer son affaire, le jeune homme né à Chicago avait travaillé deux ans pour Esquire. Le magazine américain créé en 1933 (et toujours actif), mêlait déjà pin-up et mode masculine, débats et écrits de journalistes et auteurs en pointe (comme Norman Mailer).
C’est sur ce schéma qu’Hefner lance sa propre publication en 1953, avec, comme l’indique son nom, un focus sur la sexualité. Le 1er numéro, le 1er décembre 1953, affiche en couverture une Marilyn Monroe en pleine gloire hollywoodienne.
Dans l’Amérique corsetée des années 1950 et du début des années 1960, cette promotion d’un gentleman lifestyle fantasmatique, éduqué et impertinent, amateur de jolies filles et aux idées ouvertes sur la libéralisation des mœurs (pourvu qu’elles ne secouent pas trop sa prééminence de mâle) a joué un rôle dans la libéralisation de la société américaine. Mais peut-être pas si décisif qu’il le revendiquait.
Hefner a joué un rôle indéniable, via les articles de fond qu’hébergeait également son magazine, dans la promotion de la lutte pour les droits civiques des Afro-Américains. Témoin, un long entretien de Martin Luther King par Alex Harvey, en 1965.
Longtemps soutien du parti démocrate, Hefner s’en était progressivement éloigné, mais avait cependant soutenu la campagne de réelection d’Obama, en 2012.
Il est frappant que le Britannique Ian Fleming ait écrit ses romans consacrés à James Bond entre 1953 et 1964 (le premier film sortant en 1962). L’agent 007 peut apparaître comme l’archétype fantasmé auquel pourrait s’identifier le lecteur du Playboy d’alors. Fleming a d’ailleurs publié des nouvelles dans Playboy. Tout comme Jack Kerouac, le héros de la Beat Generation.
En 1977, Playboy est au faîte de sa popularité, avec quelque 7 millions de numéros vendus chaque mois. Mais déjà, le contenu « qualitatif » (grands débats, écrivains en vogue) n’a plus le même impact.
Début 2016, après un numéro présentant Pamela Anderson en couverture, Playboy avait renoncé à la nudité frontale dans ses pages. Comme tous les magazines de « charme », le magazine a été confronté à la concurrence féroce d’Internet et à la disponibilité d’images érotiques (et plus) en un clic. Ce recentrage n’a pas eu l’effet escompté. Un an plus tard, Playboy a renoué avec ses playmates sur papier glacé…
À noter, en France, le magazine était apparu en 1973 et avait disparu en 2011. Une version francophone est réapparue en décembre 2016, sous la forme d’un trimestriel.
Le magazine ne représente cependant qu’une part de l’empire Playboy Enterprises. Sa section média comprend chaînes télé et sites Internet, au contenu essentiellement centré sur le charme.
Surtout, plus de la moitié des revenus proviennent des licences : le célèbre logo du lapin à nœud papillon est décliné sur des centaines de produits, et peut être interprété au premier comme au second degré : symbole d’une sensualité provocatrice ou clin d’œil gentiment transgressif.