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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 1.700 articles.

La folle histoire du Chabanais, la maison close la plus prisée des grands de ce monde

Institué en 1877 par Mme Darcourt, Le Chabanais fut le haut-lieu des plaisirs interdits. Fréquenté par les hommes (et femmes) les plus influents de l'époque, la maison close était enviée dans le monde entier.

 

Au détour du quartier Vivienne, dans le IIe arrondissement de Paris, arrêtons-nous rue Chabanais. Au numéro 12 de la rue. Il est le seul bâtiment de la rue construit au XIXe siècle, en 1820. À proximité du jardin du Palais-Royal, qui pourrait un instant songer que cette adresse fut un haut-lieu de la luxure poussée à son paroxysme ? Personne.

 

Oublions l’image de cette façade discrète, de ces huit étages de bureaux coincés entre deux restaurants. Remontons alors 143 ans en arrière, en 1877. Alexandrine Jouannet, dite Kelly, alias Fatma, ou encore Madame Darcourt, y investit les lieux. Elle voulait que le Tout-Paris scande : « le 12, rue Chabanais, lieu de tous les plaisirs ». Le Chabanais fut d’abord une maison orientaliste, très en vogue à la fin du XIXe siècle. À bien écouter Nicole Canet, véritable historienne de l’érotisme, passionnée de l’image et auteure du livre, Le Chabanais ; Paris était la ville de la fantaisie en Europe. Le Chabanais en était la parfaite illustration. Chacune des trente pièces du lieu était décorée selon un thème différent. Lumières, ameublement, rien ne fut laissé au hasard. Ainsi, vous pouviez vous retrouver dans la chambre médiévale, hindoue, Napoléon III ou encore Louis XIV… ambiance feutrée et rococo était proposée afin de satisfaire les plus indicibles caprices.

 

La chambre du Prince de Galles

À l’exception des deux portes en fer forgé à l’entrée, et de l’escalier en marbre, difficile de se projeter dans la fastueuse maison-close de l’époque. Ne reste alors que notre imaginaire. À tous les étages, les petites fenêtres avaient pour dessein de respecter la maxime populaire : voir sans être vu. Au fil des années, la renommée se faisant, la maison close de Mme Darcourt devint le rendez-vous des grands noms de la société.

Le prince de Galles avait fait de cette maison close, son lieu favori. Il avait investi la chambre indienne, située au 5e étage de la bâtisse. Une multitude de miroirs, du sol au plafond, ornait les murs de la pièce. Le futur roi Édouard VII se prélassait de longues heures dans une baignoire en cuivre remplie de champagne, décorée d’une figure de proue en forme de sirène. En 1890, le prince de Galles fit construire un appareil pour faciliter ses ébats sexuels : un fauteuil à deux étages, avec de longues poignées lui permettant de descendre sur ses partenaires. Après sa mort en 1910, le fauteuil fut exposé et montré la journée lors des premières visites guidées de 1920 et ce, pendant que les courtisanes dormaient.

 

À 100 francs la passe et 200 pour la nuit entière, le Chabanais était réservé à l’élite. Ainsi, l’on pouvait aisément apercevoir une fille de joie au bras de Toulouse Lautrec, croiser Guy de Maupassant sortant de la chambre japonaise. Hommes politiques, diplomates, artistes : chacun d’entre eux voulait goûter aux charmes mystérieux des courtisanes du Chabanais. Toujours dans un souci de discrétion et de bienséance, les clients étaient accueillis au rez-de-chaussée, dans une grotte en pierre artificielle. À l’entrée de la maison était inscrit : « Welcome to the Chabanais, the house of all nations ».

La chambre japonaise

 

Au premier étage, la salle Pompéi, ornée d’immenses miroirs. Lascives et allongées sur des sofas romains, le filles attendaient les clients, toutes courtement vêtues. Une fois la transaction opérée, le client pouvait, à sa guise, choisir sa fantaisie. En 1920, le Chabanais était un passage obligé pour les grands hommes de ce monde, prétextant parfois des motifs de voyage des plus farfelus. Même après plusieurs années, aucune salle de torture n’a fait son apparition, le lieu se voulait raffiné et élégant, rivalisant sans peine avec les plus grands palaces parisiens. Toutefois, diverses cravaches et autres accessoires étaient rangés dans un placard pour la clientèle voulant s’adonner aux tendances sadomasochistes.

Le salon de présentation

 

Les 24 courtisanes du Chabanais étaient bien loin de l’image des autres femmes de la profession. Vêtues de tenues orientales, ces dernières étaient assez libres et ressemblaient, à s’y méprendre, à de « petites bourgeoises très sages », raconte Marie Choisy dans son livre Un mois chez les filles, publié en 1928. Mme Darcourt, en bonne maîtresse de maison, prenait grand soin de ses protégées. À raison d’une fois par semaine,  les filles étaient contrôlées par un médecin. En 1946, la loi Marthe Richard, visant à lutter contre le proxénétisme, institua la fermeture du Chabanais, devenue la maison close la plus luxueuse d'Europe. Lors d’une interview, la conseillère municipale et ancienne prostituée rendit hommage au 12, rue de Chabanais : « Certaines maisons comme le One Two Two ou le Chabanais étaient très bien, on aurait eu envie d’y rester. »

 

Une grande partie du mobilier fut vendu à l’occasion d’une vente aux enchères le 8 mai 1951. Les tableaux centaures de Toulouse-Lautrec furent achetés par un collectionneur anonyme. La fameuse baignoire du prince de Galles fut vendue à Salvador Dalí pour 110 000 francs. Aujourd’hui encore, le Chabanais restera, à ne pas en douter, le sacro-saint lieu de l’érotisme.

 

La chaise de volupté d'Edouard VII

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