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7 Août 2020
Quinze jours après l'incroyable succès de son numéro sur Xavier Dupont de Ligonnès, Society publie, ce jeudi, la deuxième partie de l'enquête et promet "énormément de révélations". Retour sur le phénomène avec Pierre Boisson, l'un des auteurs.
"Le roman de l’été", "du grand journalisme", "un récit gargantuesque". Les éloges foisonnent sur les réseaux sociaux, se suivent et se ressemblent. Seul le superlatif change. L’engouement est total, le rythme infernal, et, inhabituel, pour la presse papier.
"Ça été une surprise parce qu’on n’avait jamais réimprimé Society de notre histoire", souffle Pierre Boisson, l’un des rédacteurs en chef du magazine, parmi les quatre auteurs partis, il y a quatre ans, sur les traces de Xavier Dupont de Ligonnès, suspecté d'avoir tué sa femme et ses quatre enfants, en avril 2011, à Nantes (Loire-Atlantique), et toujours introuvable.
"Après, on savait qu’on avait affaire à un fait divers hors norme, qui intrigue la France", reconnaît le journaliste, dans la lignée "des affaires Grégory, Estelle Mouzin ou Jean-Claude Romand". Celles qui "hantent un peu la société", où des mystères demeurent à tel point qu’elles en deviennent "fascinantes et, en même temps, insupportables".
Quinze jours après le succès retentissant de la première partie de son enquête, écoulée à 70.000 exemplaires, puis réimprimée à 30.000 avant un troisième arrivage ce jeudi 6 août, le magazine sort demain 42 nouvelles pages très attendues sur l’homme le plus recherché de France. "On a fait un tirage plus important pour que la recherche du magazine ne soit pas, cette fois, une course-poursuite ou une chasse aux trésors", rigole Pierre Boisson, qui annonce 100.000 numéros au prix unitaire de 3,90 euros. "Il ne faut surtout pas l’acheter à 20 ou 25 euros comme on a pu le voir sur Le Bon Coin", insiste-t-il.
"C’est génial de voir les gens se battre pour lire un
article de 77 pages"
Chercher son Society, phrase qui a donné vie à un "hashtag" sur Twitter, a pu en effet se transformer en véritable parcours du combattant depuis deux semaines. Certains allant même jusqu’à parcourir plusieurs kilomètres pour mettre la main dessus. Pendant que d’autres jouaient les lanceurs d'alerte, en photographiant les exemplaires restants chez les marchands de presse. Ou que – plus symbolique, encore - Franck Annese, le directeur de la rédaction, publiait son 06 sur les réseaux sociaux, afin d’échanger avec les diffuseurs dans l’optique d'une réimpression.
Cette reconnaissance, déjà forte auprès de ses plus fidèles lecteurs depuis son lancement en 2014, puis galopante lors de la crise sanitaire grâce, entre autres, à l’originalité et l’esthétisme de ses couvertures, Society la doit d’abord à son ambition journalistique. "C’est génial de voir les gens se battre pour lire un article de 77 pages. Le pari était quand même énorme", admet le journaliste. Un pari lancé quatre ans plus tôt, qui avait fait l’unanimité au sein de la rédaction. "Pour nous, le sujet Xavier Dupont de Ligonnès méritait du temps, un récit au long cours qui raconte, aussi, la société dans laquelle on vit. C’est ce qui fait l’identité de Society", poursuit-il.
Quatre années pour interroger ceux qui l’avaient déjà été - ou pas encore -, et une petite frayeur dans la soirée du 11 octobre 2019, au moment de l'arrestation, finalement fausse, de Xavier Dupont de Ligonnès. "C’était mon dernier jour de vacances. Je revenais de Montréal et, quinze minutes avant de monter dans l’avion, je reçois l’alerte", se souvient Pierre Boisson qui, une fois de retour en France, se rendra directement à la rédaction. "D’un côté, nous étions contents de le retrouver. Mais de l’autre, tout notre travail était foutu en l’air. Il ne valait plus rien". Jusqu’au démenti. "On s’est dit, alors, qu’il ne fallait plus prendre le risque de perdre l’affaire, et on a passé tout notre temps sur l’enquête les cinq mois suivants".
"Toutes les démarches qui ont été faites pour effacer ses traces ne sont pas, selon moi, celles d’un homme qui a décidé de se suicider"
Cinq mois pour continuer à rapporter des faits. Seulement des faits. "À aucun moment, nous ne faisons des supputations. Notre objectif était de donner à nos lecteurs la connaissance la plus parfaite et jamais atteinte de l’affaire pour leur permettre, aujourd’hui, de répondre à la question". Celle sur toutes les lèvres, qui divise. "Les policiers qui ont travaillé sur l’enquête sont eux-mêmes partagés", avoue Pierre Boisson qui, d’un point de vue purement personnel, croit Xavier Dupont de Ligonnès toujours en vie. "Par rapport à tout ce qu’on révèle dans la seconde partie, toutes les démarches qui ont été faites pour effacer ses traces... Ce ne sont pas, selon moi, celles d’un homme qui a décidé de se suicider".
Un homme "très secret" dont l’existence, "compartimentée" comme dans un puzzle - d’où le choix de la couverture - et passée au peigne fin par les quatre journalistes, a pu causer quelques maux de tête. Parmi "les pièces" les plus délicates, ses activités professionnelles. "On savait qu’il était une sorte de représentant de commerce mais, du mardi au vendredi, il était absent de chez lui", explique Pierre Boisson. "Reconstituer ce qu’il faisait réellement dans ses journées, seul, en voiture, d’hôtel en hôtel, s’est avéré très difficile."
L’autre obstacle majeur, "sa pyramide de dettes", comme la surnomme le journaliste, finement détaillée dans la première partie de l’enquête. "Il a fallu éplucher plein de documents pour comprendre la nébuleuse financière autour de Ligonnès. Un homme qui a toujours essayé de sauver les apparences, s’endettant pour rembourser d’autres dettes, et pouvoir continuer à maintenir son train de vie et repousser cette alternative finale qui va l'amener à tuer sa famille". Une pyramide qui s’écroule, selon Pierre Boisson, en 2009 suite à sa rencontre avec une femme, Catherine V., une amie d’enfance au train de vie imposant, dont il tombe amoureux et qui lui prêtera 50.000 euros. "Il considère que ce n’est pas plus que les sommes empruntées à d’autres amis, et qu’il pourra la rembourser progressivement, ou même partiellement. Mais il s’est trompé…"
Si l’enquête, de la qualité de son écriture - digne d’un "roman policier" ou d’un "récit de Christophe Hondelatte" selon des internautes - à l’extrême précision des faits, a été massivement saluée, elle n’a pas non plus échappé à quelques rares critiques. D’abord, sur la question de l’intimité de la famille, notamment la sexualité de son épouse, évoquée sans détour dans le premier volet. "Moi, je trouve que ce n’est absolument pas cru et vulgaire de parler de la manière dont Agnès se sentait comme femme. Ça raconte quelque chose", répond Pierre Boisson. "Ce qu’on a compris en lisant la centaine de pages de blog, très troublantes", qu’elle noircissait au fil des années, "comme un journal intime", "c’est l’emprise de son mari. Elle n’a jamais pu être libre, ni dans sa vie sociale, ni dans sa vie sexuelle". Dans cette enquête, chaque mot a été pesé. "Pour les victimes, pour les vivants", assure le journaliste. "On a toujours essayé de prendre des pincettes, de se demander si ce que l’on avait écrit pourrait avoir des répercussions sur d’autres personnes".
"Il y aura énormément de révélations sur les soupçons qui ont pesé sur les personnes et sur la manière dont a été conduite l’enquête"
L’autre critique tournait, elle, autour de la culpabilité de Xavier Dupont de Ligonnès, défini comme un "assassin" dès les premières lignes de l’enquête. "C’est sûr qu’il n’a jamais été condamné, et qu’il reste présumé innocent", avoue Pierre Boisson. "Mais nous, on considère qu’il a assassiné sa famille pour une raison assez simple : les policiers eux-mêmes jugent cette affaire d’une certaine manière classée. Ils ont toutes les preuves pour l’incriminer, son ADN et l’arme du crime, la carabine qui appartenait à son père et avec laquelle il a disparu". Comme l’ajoute le journaliste, un procès sans le principal concerné "a même été envisagé, l’année dernière, par la juge d’instruction qui a repris le dossier. Ce qui montre que pour la justice, aussi, dans le dossier d’instruction, toutes les preuves conduisent à sa culpabilité".
Pour la deuxième partie à paraître, Pierre Boisson promet encore "énormément de révélations sur les soupçons qui ont pesé sur les personnes et sur la manière dont a été conduite l’enquête". Les pistes ouvertes, refermées, ou toujours en suspens, seront évoquées. "On va montrer comment cette enquête devient infinie, avec des coïncidences incroyables qui vont rendre fous les policiers et dont l’absence de réponses les hante. Mais aussi comment des personnes ont été victimes de l’affaire indirectement, jusqu’à être profondément touchées dans leur vie personnelle", précise le journaliste, qui ne ferme pas la porte à une suite. "Pour l’instant, deux parties ont été écrites, mais on n’est pas du tout à l’abri qu’il y en ait, un jour, une troisième." Une certitude, le magazine compte poursuivre l’écriture de formats très longs à l’avenir. "On lancera, sans doute, à la rentrée un nouveau sujet exploré. Et je pense que ce ne sera pas un fait divers…"
En attendant, place à la suite de l’enquête Xavier Dupont de Ligonnès. 100.000 exemplaires sur la ligne de départ. Et malheur à celles et ceux qui ne se lèveront pas assez tôt demain…
L'article sur La Nouvelle République.