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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

16 juin 1944 : Marc Bloch meurt fusillé par la Gestapo à Saint Didier de Formans.

« … Je le dis franchement : je souhaite, en tout cas, que nous ayons encore du sang à verser… Je ne parle pas du mien auquel je n’attache pas tant de prix… »
Marc BLOCH, Septembre 1940.

Marc Bloch est né le 6 juillet 1886 à Lyon où son père Gustave Bloch occupait, à la faculté des lettres, une chaire d'histoire et d'antiquités gréco-romaines. Il appartenait, par son père, à une famille juive qui était déjà fixée en Alsace au XVIIIe siècle.

Après des études secondaires à Paris, au lycée Louis-le-Grand, il entre à l'École normale supérieure en 1904. En 1908, il est reçu à l'agrégation d'histoire.

En 1908-1909, il fait plusieurs séjours universitaires à Berlin et à Leipzig qui lui permettent de se familiariser avec les travaux et les méthodes de l'école historique allemande.

De 1909 à 1912 il est pensionnaire de la fondation Thiers et publie ses premiers articles d'histoire médiévale.

De 1912 à 1914, il est professeur d'histoire et de géographie aux lycées de Montpellier puis d'Amiens.

Mobilisé en août 1914 dès les premiers jours du conflit comme sergent d'infanterie, il termine la guerre comme capitaine après avoir été cité quatre fois à l'ordre de l'armée et avoir reçu la croix de guerre.

En 1919, il est nommé chargé de cours d'histoire du Moyen Age à la faculté de Strasbourg.

Le 23 juillet de la même année, il épouse Simonne Vidal. De cette union naîtront six enfants.

En 1920 paraît sa thèse de doctorat d'État, Rois et Serfs, un chapitre d'histoire capétienne, qu'il a soutenue en Sorbonne.

C'est à la faculté de Strasbourg, où il devient professeur sans chaire en 1921, puis professeur d'histoire du Moyen Age en 1927, et où il va rester jusqu'en 1936, qu'il a accompli l'essentiel de son oeuvre d'enseignant et de chercheur. C'est là qu'il se lie d'amitié avec Lucien Febvre et qu'il fonde avec lui, en 1929, les Annales d'histoire économique et sociale.

En 1936, il est nommé maître de conférence d'histoire économique à la Sorbonne (et professeur en chaire un an plus tard). Le 24 août 1939, malgré son âge et ses charges de famille qui le dispensaient des obligations militaires, il est mobilisé, sur sa demande, comme capitaine d'état-major.

Aux derniers jours de la bataille des Flandres il rejoint Dunkerque pour ne pas se rendre à l'ennemi. Il passe en Angleterre, débarque ensuite à Cherbourg où il contribue au regroupement de l'armée du Nord. Après l'armistice, le 2 juillet 1940, il passe en zone non occupée, déguisé en civil.

Exclu de la fonction publique par les décrets de Vichy d'octobre 1940 contre les Français d'origine juive, il est peu après a relevé de déchéance» avec une dizaine d'universitaires «pour services scientifiques exceptionnels rendus à la France» et détaché à l'université de Strasbourg repliée à Clermont- Ferrand. L'année suivante, la santé de sa femme exigeant un séjour dans le Midi, il obtient d'être affecté à l'université de Montpellier, malgré l'hostilité du doyen de la faculté des lettres de cette université, qui ne fait guère mystère de ses sentiments antisémites. Après le débarquement des Américains en Afrique du Nord et l'invasion de la zone libre par les troupes allemandes, il est obligé de se réfugier à Fougères dans la Creuse où il possède une maison de campagne.

Déjà, à Clermont-Ferrand, Marc Bloch était entré en contact avec les premiers groupes locaux de Résistance. A Montpellier, il adhère au réseau «Combat» avec l'équipe Coutin-Teitgen et contribue à organiser le mouvement clandestin sur le plan régional.

En 1943, il entre complètement dans la vie clandestine dans le mouvement «Franc-Tireur», et rejoint Lyon. Il est membre du Directoire régional des mouvements unis de la Résistance où il représente Franc-Tireur. Sous les pseudonymes de «Chevreuse», puis «Arpajon» et «Narbonne», il constitue les comités de la libération de la région et met en place le dispositif de l'insurrection pour les dix départements qui dépendent de Lyon.

Le 8 mars 1944, il est arrêté et torturé par la Gestapo: on lui casse le poignet, on lui défonce les côtes et on le soumet au supplice du bain glacé. Il est ramené, dans le coma, à la prison de Montluc.

Le 16 juin 1944, on le fait monter dans un camion avec d'autres détenus dont un jeune garçon de dix-sept ans qui pleure. Marc Bloch le réconforte: «Ils vont nous fusiller, lui dit-il n'aie pas peur, ils ne nous feront pas mal... Cela ira vite.» A Saint-Didier-de-Formans, le camion s'arrête au bord d'un champ. Marc Bloch est fusillé le premier. En tombant, il crie: «Vive la France.»


Marc Bloch a aidé la discipline historique en France à se renouveler en profondeur, grâce, notamment, à l'ouverture aux phénomènes de mentalités, d'anthropologie, de société et d'économie et à leurs temporalités propres et décalées. Il est l'auteur des Rois thaumaturges (1924), des Caractères originaux de l'histoire rurale française (1931), de La Société féodale (1939-1940), d'Apologie pour l'histoire ou Métier d'historien (publication posthume en 1949).

L'Étrange Défaite a été rédigé de juillet à septembre 1940. Destiné à n'être publié que dans une France libérée de l'occupant, l'ouvrage parut en 1946 par les soins du mouvement Franc-Tireur. Philippe Arbos témoigna (Deuxième Livre d'or de l'École normale supérieure de Saint-Cloud, 1939- 1945): «Ce serait singulièrement rétrécir la personnalité de Bloch que de ne voir en lui que l'historien et l'universitaire. L'historien et l'universitaire ne voulaient se concevoir eux- mêmes qu'en rapport avec la vie. A cet égard nul document plus précieux et plus émouvant que le livre qui devait s'appeler " Témoignage ", pour lequel la publication d'un ouvrage portant le même titre a obligé d'adopter un autre nom, L'Étrange Défaite. Bloch m'en avait confié un manuscrit qui lors d'une perquisition, échappa aux yeux de la police dé Vichy. Un ami clermontois, le Dr Canque, le dissimula alors dans une maisonnette de la banlieue clermontoise, la maisonnette fut occupée par un poste allemand de D.C.A. Nous étions fort inquiets sur le sort du manuscrit, lorsqu'un jour le Dr Canque le trouva gisant à terre, les Allemands l'avaient jeté à tout vent sans se préoccuper de ce qu'il pouvait être. Le Dr Canque l'enterra alors dans sa propriété d'Orcines; peu après, les troupes allemandes, se repliant du Midi, campèrent à Orcines et y creusèrent des tranchées, mais cette fois ne mirent pas au jour le précieux écrit que nous pûmes bientôt rendre à la famille de Bloch. »

"Ces pages seront-elles jamais publiées ? Je ne sais. Il est probable, en tout cas, que, de longtemps, elles ne pourront être connues, sinon sous le manteau, en dehors de mon entourage immédiat. Je me suis cependant décidé à les écrire. L’effort sera rude : combien il me semblerait plus commode de céder aux conseils de la fatigue et du découragement ! Mais un témoignage ne vaut que fixé dans sa première fraîcheur et je ne puis me persuader que celui-ci doive être tout à fait inutile. Un jour viendra, tôt ou tard, j’en ai la ferme espérance, où la France verra de nouveau s’épanouir, sur son vieux sol béni déjà de tant de moissons, la liberté de pensée et de jugement. Alors les dossiers cachés s’ouvriront ; les brumes, qu’autour du plus atroce effondrement de notre histoire commencent, dès maintenant, à accumuler tantôt l’ignorance et tantôt la mauvaise foi, se lèveront peu à peu ; et, peut-être les chercheurs occupés à les percer trouveront-ils quelque profit à feuilleter, s’ils le savent découvrir, ce procès-verbal de l’an 1940.

[….]

La profession que j’ai choisie passe, ordinairement, pour des moins aventureuses. Mais mon destin, commun, sur ce point, avec celui de presque toute ma génération, m’a jeté, par deux fois, à vingt et un ans d’intervalle, hors de ces paisibles chemins. Il m’a, en outre, procuré, sur les différents aspects de la nation en armes, une expérience d’une étendue, je crois, assez exceptionnelle. J’ai fait deux guerres. J’ai commencé la première au mois d’août 1914, comme sergent d’infanterie : en pleine troupe, par conséquent, et presque au niveau du simple soldat. Je l’ai continuée, successivement, comme chef de section, comme officier de renseignements, attaché à un état-major de régiment, enfin, avec le grade de capitaine, dans les fonctions d’adjoint à mon chef de corps. Ma seconde guerre, j’en ai vécu la plus grande partie à l’autre extrémité de l’échelle, dans un état-major d’armée, en relations fréquentes p.23  avec le G.Q.G. Tranchant à travers les institutions et les milieux humains, la coupe, on le voit, n’a pas manqué de variété.

Je suis juif, sinon par la religion, que je ne pratique point, non plus que nulle autre, du moins par la naissance. Je n’en tire ni orgueil ni honte, étant, je l’espère, assez bon historien pour n’ignorer point que les prédispositions raciales sont un mythe et la notion même de race pure une absurdité particulièrement flagrante, lorsqu’elle prétend s’appliquer, comme ici, à ce qui fut, en réalité, un groupe de croyants, recrutés, jadis, dans tout le monde méditerranéen, turco-khazar et slave. Je ne revendique jamais mon origine que dans un cas : en face d’un antisémite. Mais peut-être les personnes qui s’opposeront à mon témoignage chercheront-elles à le ruiner en me traitant de « métèque ». Je leur répondrai, sans plus, que mon arrière-grand-père fut soldat en 93 ; que mon père, en 1870, servit dans Strasbourg assiégé ; que mes deux oncles et lui quittèrent volontairement leur Alsace natale, après son annexion au IIe Reich ; que j’ai été élevé dans le culte de ces traditions patriotiques, dont les Israélites de l’exode alsacien furent toujours les plus fervents mainteneurs ; que la France, enfin, dont certains conspireraient volontiers à m’expulser aujourd’hui et peut -être (qui sait ? ) y réussiront, demeurera, quoi qu’il arrive, la patrie dont je ne saurais déraciner mon coeur. J’y suis né, j’ai bu aux sources de sa culture, j’ai fait mien son passé, je ne respire bien que sous son ciel, et je me suis efforcé, à mon tour, de la défendre de mon mieux."

 

Colonnes de prisonniers français

 

"Que chacun dise franchement ce qu’il a à dire ; la vérité naîtra de ces sincérités convergentes."

Marc Bloch,

L’étrange défaite.

Extraits choisis :

Nous venons de subir une incroyable défaite. A qui la faute ? Au régime parlementaire, à la troupe, aux Anglais, à la cinquième colonne, répondent nos généraux. A tout le monde, en somme, sauf à eux. Que le père Joffre était donc plus sage ! « Je ne sais pas, disait-il, si c’est moi qui ai gagné la bataille de la Marne. Mais il y a une chose que je sais bien : si elle avait été perdue, elle l’aurait été par moi. » Sans doute entendait-il surtout rappeler, par là, qu’un chef est responsable de tout ce qui se fait sous ses ordres.

Au retour de la campagne, il n’était guère, dans mon entourage, d’officier qui en doutât ; quoi que l’on pense des causes profondes du désastre, la cause directe — qui demandera elle-même à être expliquée — fut l’incapacité du commandement (1).

(1) Au surplus, c’est le général Weygand, ancien directeur du Centre des hautes études militaires, ancien généralissime, qui l’a dit, le 25 mai 1940 (Les Documents secrets de l’État Major général français, p. 140) : « La France a commis l’immense erreur d’entrer en guerre n’ayant ni le matériel qu’il fallait, ni la doctrine militaire qu’il fallait  [Juillet 1942.]

Beaucoup d’erreurs diverses, dont les effets s’accumulèrent, ont mené nos armées au désastre. Une grande carence, cependant, les domine toutes. Nos chefs ou ceux qui agissaient en leur nom n’ont pas su penser cette guerre. En d’autres termes, le triomphe des Allemands fut, essentiellement, une victoire intellectuelle et c’est peut-être là ce qu’il y a eu en lui de plus grave.

Les Allemands ont fait une guerre d’aujourd’hui, sous le signe de la vitesse. Nous n’avons pas seulement tenté de faire, pour notre part, une guerre de la veille ou de l’avant-veille. Si bien, qu’au vrai, ce furent deux adversaires appartenant chacun à un âge différent de l’humanité qui se heurtèrent sur nos champs de bataille. Nous avons en somme renouvelé les combats, familiers à notre histoire coloniale, de la sagaie contre le fusil. Mais c’est nous, cette fois, qui jouions les primitifs 1.

En même temps, les premières rencontres avaient révélé d’autres surprises. Les chars ennemis n’étaient pas seulement beaucoup plus nombreux que nos services de renseignements ne l’avaient jamais supposé ; certains d’entre eux possédaient en outre une puissance inattendue. L’aviation allemande surclassait affreusement la nôtre.

D’un bout à l’autre de la guerre, le métronome des états-majors ne cessa pas de battre plusieurs mesures en retard.

Aussi bien, avons-nous jamais, durant toute la campagne, su où était l’ennemi ? Que nos chefs aient toujours imparfaitement connu ses véritables intentions et, pis encore peut-être, ses possibilités matérielles, la mauvaise organisation de nos services de renseignements suffit à l’expliquer.

« Nous sommes partis parce que les Allemands étaient là » : j’ai entendu plusieurs fois ces mots, en mai et juin derniers. Traduisez : là où nous ne les attendions point, où rien ne nous avait permis de supposer que nous devions les attendre. En sorte que certaines défaillances, qui, je le crains, ne sont guère niables, ont eu leur principale origine dans le battement trop lent auquel on avait dressé les cerveaux. Nos soldats ont été vaincus, ils se sont, en quelque mesure, beaucoup trop facilement laissé vaincre, avant tout parce que nous pensions en retard.

Ils croyaient à l’action et à l’imprévu. Nous avions donné notre foi à l’immobilité et au déjà fait.

Cette guerre accélérée, il lui fallait, naturellement, son matériel. Les Allemands se l’étaient donné. La France non, ou, du moins, pas en suffisance. On l’a dit et redit : nous n’avons pas eu assez de chars, pas assez d’avions, pas assez de camions, de motos ou de tracteurs et, par là, nous avons été empêchés, dès le principe, de mener les opérations comme il eût convenu de le faire. Cela est vrai, incontestablement et il n’est pas moins certain que de cette lamentable et fatale pénurie, les causes ne furent pas toutes d’ordre spécifiquement militaire (1).

(1) Je me rends mieux compte aujourd’hui que ce matériel, certainement insuffisant, ne manquait cependant point autant qu’on l’a dit. Il manquait sur le front. Mais nous avions, à l’arrière, des chars immobilisés dans les magasins et des avions qui ne volèrent jamais. Les uns comme les autres, parfois, en pièces détachées. Que se passa-t-il à Villacoublay, lors de l’avance de l’armée allemande sur Paris ? Est-il exact que, comme on me l’a dit, il fallut détruire sur le terrain, un grand nombre d’avions, faute d’aviateurs capables de leur faire prendre l’air ? Ce dernier trait ne me paraît point invraisemblable. Je connais un aviateur civil, dûment mobilisé, qui, durant toute la guerre, n’a jamais été autorisé à monter un avion militaire.

On a raconté que Hitler, avant d’établir ses plans de combat, s’était entouré d’experts en psychologie. J’ignore si le trait est authentique. Il ne paraît pas incroyable. Certainement, l’attaque aérienne, telle que les Allemands la pratiquèrent avec tant de brio, attestait une connaissance très poussée de la sensibilité nerveuse et des moyens de l’ébranler. Qui, l’ayant une fois entendu, oubliera jamais le sifflement des avions « piquant » vers le sol, qu’ils s’apprêtaient à couvrir de bombes ? Ce long cri strident n’effrayait pas seulement par son association avec des images de mort et de ruines. En lui-même, par ses qualités, si j’ose dire, proprement acoustiques, il crispait l’être tout entier et le préparait à la panique. Or, il semble bien avoir été volontairement rendu plus intense à l’aide d’appareils vibrants appropriés.

 

Parade nazi sur l'avenue Foche.

A suivre sur le fichier ci-dessous...

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