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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Maigret et l'affaire Saint-Fiacre...

Retour aux sources.

Il paraît que ni Delannoy, ni Gabin ne voulaient donner une suite à Maigret tend un piège où, dans le cadre étouffant d’un Marais écrasé par la canicule, le réalisateur et l’acteur avaient pourtant réussi une osmose de qualité exceptionnelle. Et ce sont les producteurs qui ont su mettre assez de pression afin que les deux hommes se retrouvent pour la réalisation d’un deuxième épisode aussi réussi que le premier.

Dans Maigret tend un piège on ressent presque physiquement la lourdeur poisseuse des nuits d’été de la grande ville, des ruelles tortueuses de ce qui était encore, en 1957, un quasi cloaque d’ateliers et de taudis presque abandonné. Et on frissonne, dans Maigret et l’affaire Saint-Fiacre dès le générique, dans le chemin de fer, lors de l’arrivée du Commissaire dans ce Bourbonnais plat, gris, aux larges étendues de peupliers et d’eaux dormantes. Dans l’un et l’autre cas, Delannoy instille parfaitement l’atmosphère. Georges Simenon connaissait parfaitement cette région, pour avoir servi de secrétaire, pendant un an, en 1923, au marquis de Tracy, descendant du philosophe des Lumières, tellement admiré par Stendhal, qui possédait un manoir à Paray-le-Frésil.

Mais ce manoir-là ne devait pas offrir au visiteur les murs dénudés du château de Saint-Fiacre, les blessures des meubles vendus, des tableaux disparus, des bibelots escamotés. Et le marquis de Tracy ne devait pas subir le bougonnement rugueux d’Albert, le chauffeur (Jacques Marin), ni les reproches véhéments du curé du village (Michel Vitold). L’impression de désolation, d’abandon de la terre que Maigret enfant a connue si prospère, si éclatante, si brillante est parfaitement rendue. Maigret, qui a quitté il y a si longtemps, à la mort de son père, ce domaine enchanté, où il se cachait dans les buissons pour admirer la folle allure et la beauté de la jeune comtesse de Saint-Fiacre, ressent forcément avec tristesse le poids des années enfuies.

Le film de Delannoy est, autant qu’il m’en souvienne, assez fidèle au roman, ce qui n’est pas si fréquent pour les adaptations de Simenon, souvent tirées vers la résolution d’une énigme, alors que le romancier se préoccupait bien davantage de l’étude lourde, profonde, fascinante des milieux et des individus. L’affaire Saint-Fiacre présente, d’ailleurs, une assez belle palette de saletés, de comportements minables, de secrets boueux : ceux qui sont dévoilés lors du repas final où tous et chacun sont mis en cause, où la mort de la comtesse de Saint-Fiacre apparaît bien comme une somme d’indifférences, d’insensibilités, d’abjections qui compose un meurtre presque collectif, même si le coup final et décisif a bien été porté par un duo de crapules orgueilleuses. Toujours est-il que cette fin, toute en accélération – mais sans doute avec un peu trop de théâtralité – m’a fait songer à une autre excellente conclusion d’un film de la même époque : Marie-Octobre, le dernier grand Duvivier.

On a raison de célébrer la distribution de L’affaire Saint-Fiacre : elle est une des plus réussies qui se puisse, chacun des acteurs, quelle que soit l’importance de son rôle, le jouant à la perfection ; tout au plus peut-on s’agacer de temps en temps devant les outrances de Robert Hirsch, théâtreux coutumier du fait, mais Frankeur, Morel, Auclair, Vitold sont tous remarquables ; et les silhouettes, Gabrielle Fontan, Micheline Luccioni, Hélène Tossy, Marcel Pérès le sont tout autant…

Dommage, bien dommage que Jean Delannoy n’ait pas réalisé un troisième Maigret ; dommage aussi que Jean Gabin, en revanche, se soit laissé tenter par Gilles Grangier, son habituel factotum, de tourner Maigret voit rouge, qui est une véritable catastrophe.

 

 

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