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8 Janvier 2020
Un vendeur d’étoffes, Léon Mannoury, y casse les prix pour écouler les invendus. Les soldes sont nés.
La Maison du Petit Saint-Thomas : le berceau de tous les grands magasins de Paris. M. Mannoury, le fondateur du Petit Saint-Thomas rue du Bac, lance en 1810 un grand établissement de nouveautés : ce vendeur d’étoffes révolutionne la pratique commerciale en organisant la vente d’articles à très bon marché et surtout les prix fixes affichés. «On ne vend qu’à prix fixe dans cette maison» assure la publicité faisant foi de la vieille devise de la maison «Loyauté fait ma force». Mannoury instaure la vente par correspondance et crée un service spécial pour la province.
Pour liquider les invendus, ce commerçant visionnaire affiche des prix attractifs. Les ventes au rabais sont nées. On lui attribue ainsi la paternité des soldes.
Premier encart publicitaire paru dans «Le Figaro» le 26 août 1829.
Le Petit Saint-Thomas devient la coqueluche de toutes ces dames de l’aristocratie parisienne qui aiment y flâner et acheter : «Pour tout ce qui est du domaine essentiellement parisien de la «nouveauté», il convient de se diriger tout droit vers les magasins les plus élégants qui sont ceux du Petit Saint-Thomas. Notre aristocratie n’en connaît point d’autres» affirme Le Figaro dans son édition du 4 avril 1867. La rue du Bac devient le rendez-vous de la fashion parisienne.
Sous le second Empire, de nouveaux lieux de vente vont s’ouvrir -Le Bon Marché (1838), Les Grands Magasins du Louvre (1855), Le Bazar de l’Hôtel de Ville (1856), Le Printemps (1865) - pour devenir «les cathédrales du commerce moderne» ainsi décrites par Émile Zola dans son roman Au Bonheur des Dames (1883). L’auteur de Germinal y raconte l’ascension d’Aristide Boucicaut, génie du négoce et du marketing.
Le jeune Aristide Boucicaut (1810-1877) est embauché, lors de son arrivée à Paris, comme vendeur au Petit Saint-Thomas. Quelques années plus tard, il s’associe avec les frères Videau qui ont ouvert un magasin baptisé Au bon Marché. Sous son impulsion, la boutique va devenir un grand magasin. Aristide Boucicaut accompagné de son épouse Marguerite développent le phénomène des soldes. Dès 1869, il lance «la semaine du blanc» pour attirer des clientes après les fêtes. Cette opération devient peu à peu «le mois du blanc». Phénomène qui perdure depuis cent cinquante ans.
Très vite il va falloir légiférer: les commerçants ambulants cassent les prix avec des ventes au déballage. La loi du 31 décembre 1906 précise qu’il faut une autorisation et indiquer le lieu de la vente. Pour la première fois le mot soldes est introduit dans un texte de loi.
Puis, plus tard en 1962, une nouvelle loi précise que «Les ventes présentant un caractère réellement ou apparemment occasionnel» doivent être précédées de publicité. Tout un arsenal de lois suivra pour contrer certains commerçants qui abusent des «bonnes affaires». La dernière en date, la loi Pacte, réduit la durée des soldes à quatre semaines.
Retrouvez la chronique de Parisette, spécialiste de la mode, retraçant l’histoire du magasin Le Petit Saint-Thomas et de son génial fondateur. À l’occasion de travaux de modernisation en 1897, la journaliste voit dans ces embellissements une nouvelle ère dans la vie du magasin déjà si longue et honorable: «Le Petit Saint-Thomas éclatant de vitalité s’élance, rajeuni vers l’avenir».
Le Figaro du 18 Novembre 1897
Ces jours-ci, tous ceux qui ont passé rue du Bac, proche de la Seine, ont remarqué la récente édification d’un très bel immeuble, style Renaissance, auquel s’accroche une superbe marquise imprévue par les architectes du temps des Valois. Et si les petits carreaux de certaines fenêtres sont là pour conserver le cachet désirable à l’ensemble, de larges ouvertures aussi sacrifient aux besoins de lumière, d’air et de facile circulation qui caractérisent notre turbulente époque.
Cet édifice à peine achevé, qu’on admire en passant, est tout simplement un nouveau palais de l’élégance française, un moderne temple de la couture-un beau géant sorti d’un tout petit berceau…C’est un coin du «vieux Paris» qui disparaît, c’est le Petit Saint-Thomas, presque centenaire, qui transformé, éclatant de vitalité, s’élance, rajeuni, vers l’avenir.
Inauguration des nouveaux magasins du Petit Saint-Thomas en novembre 1897. On promet aux Dames de merveilleuses surprises dans tous les rayons. Annonce publicitaire parue dans «Le Figaro» du 21 novembre 1897.
Jamais un bon Parisien ne voit disparaître ce qu’il a toujours connu sans éprouver un vague et mélancolique attendrissement. Cette vieille maison nous était familière. Nos mères, nos grand’mères nous en ont parlé, tandis que nos mains enfantines, feuilletaient les albums de modes de Gavarni, de Devéria et que nos yeux s’arrêtaient sur les gravures d’Alfred de Dreux accrochées aux murs des chambres où nous fûmes sevrés.
Dans cette boutique on vendait plusieurs sortes de marchandises au comptant, à prix fixe et à très bon marché.
En 1810, un homme que la «Nouveauté» regarde comme son Napoléon -Mannoury le jeune- ouvre une boutique dans le faubourg Saint-Germain. C’est un succès immédiat, car de tous temps les femmes ont été friandes d’innovations. Or, dans cette boutique qui rompait avec les habitudes d’alors, celles de la spécialité, on vendait plusieurs sortes de marchandises au comptant, à prix fixe et à très bon marché...» L’idée fut géniale!...
L’œuf d’où allaient sortir tous les grands établissements du siècle était dans le nid.
On aime à s’imaginer l’attirance des jolies Parisiennes de l’époque vers les tentations inédites qui leur étaient offertes. Volontiers on admet que Joséphine y envoya chercher quelques frivolités délicates pour parer ses grâces languissantes; que Mme Tallien, la ravissante Récamier, furent de l’inauguration. Sans doute l’adorable lady Blessington, en revenant d’Italie avec le beau d’Orsay, voulut voir le Petit Saint-Thomas si à la mode !...
Les premiers « avis » dans les journaux. Nous en sommes encore à l’embryon de la publicité.
Puis les années passent, et nous rêvons de la duchesse de Berry, des femmes de la Cour, de la princesse de Liéven, de Mme de Martignac, de la princesse de Vaudémont, de la comtesse de Rumfort. Elles ont dû, ces belles d’alors, hanter le magasin en vogue, qui bientôt allait devenir les magasins en risquant les premiers étalages, en lançant timidement les premiers «avis» dans les journaux. Nous en sommes encore à l’embryon de la publicité.
Et voici que défilent, devant les comptoirs agrandis, la touchante Elvire et les héroïnes de Balzac; les chanteuses et les actrices: la Piccolomini, Rachel et Déjazet. Elles conduisent la sévère Swetchine*, la si jolie Santa de Fresne, et choisissent pour aller aux Champs-Élysées, à la Croix-de-Berny ou à Longchamps: le gros de Naples de leurs robes écourtées, les palatines, les peignes à la girafe, les bonnets de linge, et les oiseaux de paradis qui orneront leurs «cabriolets» en paille de riz. Mme d’Agoult, Mme de Girardin -et peut-être Villemessant lui-même puisqu’il signa du pseudonyme d’Almaviva un article de modes dans le premier numéro du Figaro**, célèbrent directement ou indirectement les productions du Petit Saint-Thomas, en louangeant les mondaines.
Puis arrive l’Empire.
1870 vient foudroyer le pays. Le Petit Saint-Thomas subit le choc comme tout le monde.
L’Impératrice, au dire de Worth***, que l’on peut croire, n’était pas coquette. Sa merveilleuse beauté pouvait se passer d’artifices. Mais Napoléon III, comme son oncle, voulait que les Tuileries donnassent l’exemple du luxe et de la dépense, source de prospérité pour le commerce. Il faut encourager les industries naissantes ou éprouvées. La parure s’impose même au deuil, réglé jusqu’alors par des usages d’une extrême rigueur. Le jais est inventé. La crinoline s’arrondit de plus en plus, célébrée -le croirait-on?- par Théophile Gautier! Le sénateur Dupin tonne contre «le luxe effréné des femmes»! mais le monde entier devient tributaire de la France pour la mode et les productions qui s’y rattachent.
Le Petit Saint-Thomas est à son apogée. Il fournit tous les fonctionnaires, toute la province mise en émoi par les belles préfètes que le gouvernement délègue. Cette clientèle nouvelle se joint à l’aristocratie parisienne et amène peu à peu l’élément masculin, à mesure que les rayons spéciaux se créent à l’intention de celui-ci.
Mais 1870 vient foudroyer le pays. Tout s’écroule. La vie élégante n’existe plus pendant des mois. Le Petit Saint-Thomas subit le choc comme tout le monde. Les femmes de la noblesse, qui lui demeurent fidèles, sont très atteintes dans leur fortune et leurs affections. Elles font moins de dépense et pas du tout de bruit.
Les femmes de bonne compagnie se sentiront, chez elles dans cette maison où les prévenances, le respect ne leur ont jamais manqué.
Le Petit Saint-Thomas avait marché toujours avec son siècle; maintenant, comme par le passé, il voulait aller de l’avant... Le luxe s’est démocratisé?... On veut de l’électricité et de la publicité, la mise en œuvre de toutes les forces modernes?.. Voici! présent!...Qu’on s’adresse à un architecte artiste: M. Dionys du Séjour! Qu’on élève un édifice superbe! Qu’on fasse appel au progrès, à la foule ! Qu’on soit jeune, enfin, et vaillant! En route pour l’avenir: Loyauté fait ma force !…
La clientèle fidèle au Petit Saint-Thomas, de génération en génération, appréciera le soin avec lequel son magasin favori aura su conserver dans ses transformations tout ce qu’elle aimait dans son passé; le luxe n’aura rien ôté à ses traditions. Les femmes de bonne compagnie se sentiront, chez elles dans cette maison où les prévenances, le respect ne leur ont jamais manqué.
Et moi, compatriote de celle qui tant aimait «son ruisseau de la rue du Bac», je dis adieu au Petit Saint-Thomas de 1810 -au passé qui s’évanouit avec lui, se fond dans le recul de l’âge- et je salue de toutes mes sympathies le Petit Saint-Thomas de demain.
Par Parisette.
* Sophie Swetchine (1782-1857) épistolière et femme de lettres russes.
**Le premier numéro du Figaro, le 1er janvier 1826.
***L’illustre tailleur Charles Frederik Worth (1825-1895) qualifié de «père de la haute couture» débarque à Paris en 1846 peu avant la prise de pouvoir de Napoléon III.
Le Figaro : journal littéraire : théâtre, critique, sciences, arts, moeurs, nouvelles, scandale, économie domestique, biographie, bibliographie, modes, etc., etc. -- 1829-08-26 -- periodiques
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k266356d/f4.texteImage
Le Figaro du 26 août 1829.
Le Figaro 18 Novembre 1897.
Soldes: tout commence au Petit Saint-Thomas à Paris en 1810
LES ARCHIVES DU FIGARO - Un vendeur d'étoffes, Léon Mannoury, y casse les prix pour écouler les invendus. Les soldes sont nés. La Maison du Petit Saint-Thomas: le berceau de tous les grands mag...
L'article in Le Figaro du jour.