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24 Janvier 2023
C’était bon de faire la guerre avec vous !
Winston Churchill s’adressant à Paul Reynaud
Après plus de neuf jours de lutte contre la mort, l’illustre homme d’État Winston Churchill s’éteignait le 24 janvier 1965. Le «vieux Lion», fut l’un des acteurs de la victoire contre le nazisme.
«Sir Winston Churchill est et restera celui qui, en dirigeant jusqu’à la victoire l’admirable effort de guerre britannique, contribua puissamment au salut du peuple français et de la liberté du monde. Dans le grand drame, il fut le plus grand». Ces mots du général de Gaulle prononcés au lendemain de la disparition de Churchill démontrent l’importance du rôle de l’ex-premier ministre anglais, à tout jamais indissociable de la défaite d’Hitler.
Les hommages et les messages arrivent des quatre coins du monde: «Un champion de la liberté» (Paul VI), «Le plus grand des fils d’Angleterre» (Théo Lefèvre, premier ministre belge), «Au moment où l’obscurité régnait sur le monde, une providence généreuse nous l’a donné» (Lindon B. Johnson, président des États-Unis).
Six jours plus tard, le 30 janvier, des obsèques nationales sont célébrées à la cathédrale Saint-Paul, dans la pure tradition de la monarchie. Puis sir Churchill est convoyé jusqu’à sa dernière demeure comme les souverains d’Angleterre.
Cent douze pays sont représentés lors des funérailles nationales: un cortège de rois, de présidents, de ministres, d’hommes politiques sans oublier une myriade de Londoniens amassés sur le parcours du défilé.
Après la grande parade funèbre, le corps de Churchill entre dans la cathédrale accueilli par l’archevêque de Cantorbéry. L’église est comble et le cérémonial d’un prodigieux raffinement précise Le Figaro. Retransmise en direct à la télévision, la cérémonie funéraire est suivie par 350 millions de personnes à travers le monde. Sortant de Saint-Paul, le cercueil est embarqué sur un bateau qui remonte la Tamise jusqu’à la gare de Waterloo. Puis la dépouille de Churchill regagne en train le petit village de Blandon, dans le comté d’Oxford. Sir Winston Churchill repose près de son père, lord Randolph Churchill et de sa mère née Jérome d’origine américaine.
Témoignage de Paul Reynaud.
Extraits de l’article paru dans Le Figaro du 25 janvier 1965
Pour un homme qui a occupé la première place sur la scène du monde avant que sa figure s’estompe dans la pénombre de la retraite, la mort est une résurrection. Il apparaît brusquement alors tel qu’il fut à ses grands jours. Ainsi en fut-il de Churchill dès qu’il s’engagea dans une lutte inégale avec la mort, aussi puissant et courageux en face d’elle qu’il l’avait été face à l’ennemi. Je ne verrai plus, dans son puissant visage, le sourire de l’accueil. Dans les années qui ont suivi la guerre nous dînions ensemble à chacun de ses voyages à Paris, nous nous retrouvions à l’Assemblée européenne, à Strasbourg et avec quelle émotion nous avons parlé, tous deux, d’un balcon dominant la foule amassée sur la place Kléber !
C’était bon de faire la guerre avec vous!
Winston Churchill s’adressant à Paul Reynaud
Je le vis pour la dernière fois avant les élections générales britanniques de 1959, sur la côte d’Azur. Il était devenu plus silencieux. Il m’accueillit par ses mots: «C’était bon de faire la guerre avec vous!». Un siège lui était tendu, tous les cent mètres, pendant la promenade que nous fîmes après le déjeuner dans l’admirable jardin de ses amis Reves. Le vieux lutteur me dit alors: «Je me présenterai aux prochaines élections. Si les conservateurs l’emportent, je démissionnerai. S’ils sont dans l’opposition je resterai à la commune». Mais la Chambre dont il avait dit: «Je suis son enfant» l’avait retenu. Que de souvenirs venaient à nous lors de ces rencontres!
Nous étions des “compagnons de misère.”
Winston Churchill
Je le revois aujourd’hui tel qu’il était lorsque, suivant son expression, nous étions des «compagnons de misère» dans l’écroulement de mai 1940, alors que les hommes au cœur faible voyaient déjà nos deux grandes glorieuses nations sombrant dans la nuit de la servitude. C’est en ces jours d’angoisse, en plein désastre, que Churchill fut grand. […]
Aux pires moments, alors qu’il voyait s’écrouler l’armée française qu’il admirait tant et que je mesurais la faiblesse de l’apport britannique, pas un mot amer ne fut prononcé entre nous. Certes, pour obtenir le plus grand concours possible, je le menaçais de mes successeurs éventuels, comme il menaçait Roosevelt des siens, pour le déterminer à faire entrer son pays dans la guerre. Mais, l’amitié qui était née entre nous, avant la guerre, de nos efforts parallèles pour ouvrir les yeux de nos peuples sur le péril qui croissait chaque année à l’horizon et sur les moyens de le conjurer, n’en reçut pas la moindre atteinte. Lorsque je luttai, au sein de mon gouvernement, contre les partisans de l’armistice, Churchill fit tout ce qui était en son pouvoir pour fortifier ma position. […]
Il me semblait que j’accomplissais ma destinée et que toute ma vie passée n’avait été qu’une préparation à cette heure.
Winston Churchill
Lorsque le gouvernement Pétain eut conclu un armistice avec l’ennemi, Churchill resté seul, debout dans la tempête incarna son peuple. Il avait vécu pour cette heure-là. […] Non seulement, il ne fut pas angoissé en prenant le pouvoir, mais il écrit dans ses Mémoires : «Je me suis mis au lit avec un profond sentiment de soulagement. Il me semblait que j’accomplissais ma destinée et que toute ma vie passée n’avait été qu’une préparation à cette heure.» […] Tout l’y avait préparé: ses longs séjours au gouvernement en temps de paix et à des postes militaires pendant les deux guerres et jusqu’aux épreuves retentissantes de sa carrière. C’était pour lui l’heure de la revanche.
[…] À l’époque, plus encore qu’aujourd’hui, la carrière politique d’un fils de grande famille, ayant sa valeur, était assurée. Il était un Churchill, petit-fils du duc de Marlborough, vice-roi d’Irlande. Aussi le démarrage fut-il rapide. Les libéraux sont alors au pouvoir. À 30 ans, une première fois, Churchill traverse le «plancher» de la rectangulaire Chambre des Communes, passant des conservateurs aux libéraux, par fidélité au libre-échange. Il retraversera le plancher, vingt ans plus tard, pour revenir aux conservateurs.
À 37 ans, en 1911, Churchill est premier lord de l’Amirauté.
[…] Un an après être passé au parti libéral, il est sous-secrétaire d’État aux colonies; à 34 ans, ministre du Commerce; à 36 ans, ministre de l’Intérieur. À l’occasion du siège d’une maison de l’East End de Londres occupée par des anarchistes qui ont assassiné un policeman, Churchill arrive sur les lieux en haut-de-forme et manteau à col de fourrure et il est photographié entre les soldats faisant feu. À la chambre, le grand Balfour le foudroie de ses sarcasmes: «Les photographes étaient à leur place, mais étiez-vous à la vôtre, en posant devant eux?»
À 37 ans, en 1911, Churchill est premier lord de l’Amirauté. C’est en cette qualité qu’il mobilise la flotte anglaise en 1914, avant même que son pays soit en guerre.
[…] En 1917, Lloyd George le nomme ministre des munitions. La nouvelle éclate comme un obus de la grosse Bertha dans le camp conservateur «Fureur insensée» dit Beaverbrook (Ami de Churchill). Le conservateur Morning Post accuse Churchill d’être «le rein flottant du corps politique anglais». Aussi Churchill écrit-il à Lloyd George qui va faire un voyage en France: «Ne vous faite pas torpiller, car vos collègues me mangeraient.»
Churchill va cependant à l’Échiquier où il restera cinq ans.
En dépit de cette hargne, Churchill s’instruit des affaires de l’État et en particulier, de celle de la Défense nationale. Il lui manquait d’avoir occupé le poste capital de chancelier de l’Échiquier. Après la guerre, en 1914, alors que Churchill vient de retraverser le plancher, M. Baldwin, chef des conservateurs forme son gouvernement. Le bruit court qu’il va offrir le poste à Churchill. «Ne dites pas de bêtises, dit un conservateur, il n’y a pas cinq minutes qu’il appartient au parti tory». Churchill va cependant à l’Échiquier où il restera cinq ans.
Il s’applique à faire remonter la livre au niveau de sa parité d’avant-guerre, afin de pouvoir faire dire par son chef Baldwin cette phrase bien churchillienne: «Désormais, la livre peut regarder le dollar dans les yeux».
Ce fut une catastrophe. La livre coutant plus cher aux étrangers, les marchandises anglaises leur coûtent plus cher. Ils en achètent moins. Dès lors, les industries travaillant pour l’exportation voient diminuer leur recettes. Or, les frais généraux sont restés les mêmes. Beaucoup doivent fermer leurs portes et mettent leurs ouvriers au chômage. […] et ce fut la célèbre grève générale de 1926 au cours de laquelle Churchill fut l’éditeur et le rédacteur du seul journal d’Angleterre pendant la grève, la British Gazette. C’est de cette hausse de la livre que mourra le cabinet Mac Donald en raison de l’énormité croissante du nombre de chômeurs. La maladie qui, de ce fait, minait le corps britannique sévit jusqu’à la dévaluation de la livre en 1931.
Les Anglais la firent dans les larmes. C’était le salut.
En 1929, Churchill quitte la Chancellerie. Il va être, pendant dix ans, éloigné du pouvoir.
Pendant cette sombre période de dix ans où il fut exilé du pouvoir, Churchill se montra tout d’abord timide en face du problème de la paix et de la guerre, tant était puissant le mouvement mystique de lord Cecil pour la paix par la Société des Nations. Consulté sur l’agression de Mussolini contre l’Éthiopie, il répondit: «Essayez d’entraîner la France de Laval mais sans oublier sa faiblesse.» Il ne prit pas le parti de l’action, au lendemain de l’invasion de la Rhénanie par Hitler, le 7 mars 1936. Les deux occasions d’abattre les deux dictateurs qui se préparaient à nous faire la guerre étaient perdues. Mais dès le 7 mars 1936, sous le couvert du renforcement de la Société des Nations, Churchill commença pour le réarmement de son pays, une campagne au cours de laquelle il montra la qualité qui fait l’homme d’État, celle de consentir à être seul contre tous quand il a la conviction d’avoir raison contre tous. Ce qui lui valut d’être lord de l’Amirauté au début de la deuxième guerre comme au début de la première et d’être premier ministre huit mois plus tard. Prenant le pouvoir le 21 mars 1940, sans illusion sur le front terrestre, c’est grâce à Churchill que je pus faire revenir Chamberlain sur son refus de faire l’opération de Norvège qui obligeait l’ennemi à se battre là où il était le plus faible, sur mer. Deux résultats: la flotte allemande affaiblie par de lourdes pertes dut renoncer au mois de septembre suivant, à l’invasion de l’Angleterre et la route du minerai de fer suédois vers les usines de la Ruhr fut coupée, jusqu’au jour où s’écroula le front français. […]
« Je n’ai jamais été fatigué quand j’étais au pouvoir. La seule chose qui m’ait fatigué, c’est d’être dans l’opposition ».
Churchill aimait le pouvoir parce qu’il s’y déployait. Il dit, un jour, en parlant des ministres de ses successeurs Anthony Eden: «Ils se disent lassés d’être au pouvoir. Moi, je n’ai jamais été fatigué quand j’étais au pouvoir. La seule chose qui m’ait fatigué, c’est d’être dans l’opposition».
Anthony Eden dit aussi que l’un de ses aspects sympathiques est le franc plaisir qu’il prend aux pompes du pouvoir: «il aime les acclamations de la foule lorsqu’il passe dans la rue. Il joue pour la galerie avec un art que bien des acteurs pourraient lui envier; plaçant son chapeau au bout de sa canne d’ébène à pommeau d’or et l’agitant avec la désinvolture d’un étudiant.» Ce qui ne l’empêchait pas d’avoir un sens élevé de sa dignité. «Mais Churchill goûtait la pompe et l’apparat qui accompagne la fonction suprême du chef du gouvernement, et plusieurs de ses ministres se plaignent qu’il semblât croire que c’était lui, le gouvernement.»
Churchill avait des chapeaux originaux, aimait les uniformes, les velours, les soies et les ors des costumes d’antan. Il était «Gardien des cinq ports». Il avait refusé une couronne de duc, ce qui l’eut exilé de la Chambre des Communes, mais il reçut la dignité plus rare de la jarretière.
«Toute grandeur est triste, disait Napoléon […]. La grandeur n’était pas triste pour le descendant des Marlborough. À cet aristocrate, indomptable et fantasque, toutes les joies de la terre étaient dues, celles du costume, et de la table comme celles de l’esprit et de l’action. Il fumait les meilleurs cigares et buvait les meilleurs champagnes.
[…] Quoique l’opération de la «route du fer» ait, en fait, rendu impossible l’invasion de l’Angleterre, Churchill évoqua cette menace pour galvaniser son peuple. Il prononça des discours d’une grandeur shakespearienne avec des saillies telles que: «Nous les attendons…les poissons aussi».
Jusque dans les âges futurs, les enfants des écoles en Angleterre réciteront par cœur des passages de ses discours depuis le premier: «Je ne puis rien vous promettre d’autres que de la sueur, des larmes et du sang».
Jamais je ne croirai que l’âme de la France est morte. Jamais je ne croirai que sa place parmi les plus grandes nations du monde soit perdue pour toujours.
Churchill, discours aux Français le 21 octobre 1940
Quant à nous, nous garderons jusqu’au tombeau le souvenir de son discours aux Français du 21 octobre 1940: «Jamais je ne croirai que l’âme de la France est morte. Jamais je ne croirai que sa place parmi les plus grandes nations du monde soit perdue pour toujours». Jusqu’au bout Churchill fut l’ami de la France. C’est à lui qu’elle dut obtenir une zone d’occupation en Allemagne. Il a symbolisé la ténacité anglaise, égale à la grandeur romaine. Bull-dog et louve.
Lorsque sa statue se dressera dans la pénombre émouvante de cathédrale de Westminster dédiée, depuis des siècles, à Dieu et aux grands hommes d’Angleterre, les enfants levant les yeux vers cette figure puissante, se souviendront qu’un jour, il a dit:
«Maintenant nous avons à nous tenir seul sur la brèche. Mais nous ne luttons pas pour nous seuls…Nous attendons l’assaut. Ce sera peut-être ce soir, peut-être dans huit jours, peut-être jamais. Nous défendrons chaque village, chaque bourg, chaque cité…
Nous ne capitulerons jamais.»
Par Paul Reynaud
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