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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Voir et revoir... "1917", le film de Sam Mendes

Diffusé hier soir sur France 2...

On peut le voir et le re-voir sur France.TV.

 

1917 est une anecdote, transformée en scénario, étalée sur un peu moins de deux heures. Le reste est confié à la magie du cinéma et à un réalisateur talentueux, oscarisé en 2000 pour American Beauty, ou aux commandes de l’un des meilleurs épisodes de la saga James Bond (Skyfall). C’est d’ailleurs ce dernier qui est mis en avant pour promouvoir 1917, peut-être un dommage collatéral de l’affaire Kevin Spacey.

One shot je pense à toi

Ce qui a fait beaucoup parler de 1917 avant sa sortie, c’est sa technique : le film a été tourné en « one shot », c’est-à-dire en un seul plan-séquence, en une seule prise. Une véritable prouesse dont le réalisateur (et le directeur de la photographie Roger Deakins) explique que c’était le meilleur moyen de maintenir une tension continue, où chaque respiration devient importante.

Le résultat est cependant mitigé. D’abord parce que le plan-séquence, même sans le savoir à l’avance, a pour effet de distraire le spectateur lorsqu’il s’en rend compte, plutôt captivé par la réalisation que par le scénario. Ensuite, parce qu’on ne sait pas au final en quoi la technique du plan-séquence unique sert l’histoire du film. Enfin, les plus tatillons ne pourront que remarquer le fondu noir intervenant au milieu du film lors d’un passage crucial, et qui met à mal ce fameux défi du « one shot ».

1917 est une anecdote, comme le Soldat Ryan

Première guerre mondiale, nous sommes sur la ligne de front entre les soldats anglais et allemands. Ces derniers ont battu en retraite, les Britanniques s’apprêtent à lancer un assaut final. Sauf qu’il s’agit d’un piège allemand dans lequel 1600 hommes risquent de tomber et périr. L’État-major charge donc deux soldats de porter un message au commandement de l’assaut, derrière les lignes ennemies, afin d’empêcher le drame qui risque de se produire.

Ainsi, le synopsis est léger mais suffisant à Sam Mendes pour qu’il en fasse un grand film de guerre. Sans doute d’autres réalisateurs moins talentueux s’y seraient cassé les dents. Mendes transforme la petite histoire en grand spectacle — parfois à l’excès, comme lorsqu’un village en ruines devient un magnifique théâtre de lumière sous les explosions du combat — et c’est une réussite.

 

L’autre atout de 1917 tient dans sa distribution. Les poids lourds (Colin Firth, Benedict Cumberbatch, Mark Strong) tiennent les seconds rôles, alors que la tête d’affiche est confiée à un duo de jeunes quasi-inconnus. Le visage de Dean-Charles Chapman parlera surtout aux fans de Game of Thrones (et encore, qui se souvient de Tommen Baratheon ?) quant à George MacKay, révélé avec Captain Fantastic, il tient ici le rôle déclencheur de sa carrière.

 

Si 1917 ne détrônera pas Il Faut Sauver le Soldat Ryan au palmarès des meilleurs films de guerre, il est clair qu’il s’agit néanmoins d’une œuvre qui marquera les esprits. Sans pouvoir rivaliser avec Spielberg, Sam Mendes aura réussi à rendre un hommage public à son grand-père. En cela, il y a toujours de quoi tirer une certaine fierté.

Voir et revoir... "1917", le film de Sam Mendes

1917 in Sens Critique :

Le feu irradie un champ de ruines urbaines qu’il tire de sa nuit profonde pour, l’espace de longues minutes, en faire un théâtre de spectres, une zone intermédiaire entre rêve et réalité où la peur intérieure du protagoniste principal s’extériorise, s’incarne par la lutte à mort entre lumière et ténèbres. Sous ces ruines en feu, l’ébauche d’une famille un temps recomposée : le soldat devient père, la femme trouve un mari, le bébé une figure réconfortante. La maison familiale brûlait également dans Skyfall, emportant au gré des vents les souvenirs d’un passé aussitôt ressuscité aussitôt désintégré. Cette même scène symbolique intervient à un moment-pivot du dernier long-métrage de Sam Mendes ; et à partir de cet instant, l’exercice de style cède le pas à l’art, la technique virtuose atteint la grâce tant attendue, la démonstration meurt et renaît en jaillissement imagogène.

Le film est un phénix. Les fragments d’existence deviennent les véhicules d’une mémoire à entretenir : les lettres, les photographies déchirées ou maculées de sang, les médailles, les bagues, les mots : il faut transmettre, il faut survivre pour transmettre, et permettre ainsi à ceux qui ont péri de voir leur récit amorcé. L’Histoire ne s’écrit que par les vivants à partir de la douleur des morts. 1917 pourrait en ce sens s’apparenter à un lent et périlleux sauvetage de la mémoire, contrainte de s’embourber, de se couvrir de poussière et de cendre, de risquer l’immédiateté de son présent pour, après tant d’efforts, après le hasard affronté au corps-à-corps et la mort soutenue du regard, atteindre le militaire puis le frère, leur annoncer le repli. Repli des forces armées. Repli d’un cœur qui devra continuer sa course sans celui pour qui il avait l’habitude de battre.

En rendant hommage à son grand-père, Sam Mendes brosse un portrait à la fois terriblement réaliste et profondément poignant de la Première Guerre mondiale, sujet certes rebattu mais auquel le cinéaste parvient à transférer ses thématiques, à imposer sa palette d’artiste pour mieux en proposer une déclinaison personnelle. Sa réussite, il la doit toutefois davantage à sa seconde partie – celle qui succède à l’écran noir – qu’à sa première. Car le choix d’un seul et unique plan-séquence plonge d’emblée le spectateur dans un microcosme au réalisme saisissant mais qu’il sait faux ; d’où cette curieuse impression d’être embarqué dans une attraction digne du Futuroscope. La guerre comme si vous y étiez. Une heure. Accrochez-vous. Un cheval mort, non deux non trois. Des rats. Croisière parmi les cadavres, partout. La fluidité du plan-séquence doublée d’une absence de montage – plan-séquence oblige – rend suspectes toutes les interventions qui perturbent notre duo de tête. On admire la chorégraphie, virtuose, mais on se dit que la technique manque son objectif, à savoir se faire oublier pour donner à vivre la réalité des tranchées. Et si le souffle est coupé, si l’air vient à manquer, ce n’est finalement pas tant à cause des horreurs représentées qu’à cause de la représentation elle-même, cette longue déambulation dont on ne cesse de se demander comment elle a pu être réalisée.

Avec la nuit naît le miracle. Le plan-séquence finit par se faire oublier, et la magie opère enfin. 1917 s’affirme alors comme une fresque intimiste des plus admirables : depuis le camion de soldats s’observe le sentier de la perdition si cher à Sam Mendes, cette baraque isolée qui laisse voir ses meurtrissures derrière un long chemin en ligne droite. Nous nous raccordons à ce foyer en feu, à la mémoire que ce dernier menace de faire disparaître. L’image en guise de clausule sonne comme un cri d’espoir tout autant que comme le constat tragique d’une violence destinée à se répéter encore et encore. La boucle se referme sur elle-même, et il suffirait de relancer le film pour redémarrer le martyre d’une humanité à bout de souffle, mais que les bribes d’espérance maintiennent en vie. Dès lors, 1917 transcende son statut de film de guerre pour atteindre celui de la tragédie, d’une tragédie contemporaine à visionner de toute urgence dans les salles de cinéma munies, de préférence, d’un grand, d’un très grand écran.

Rappel : Mardi 10 février 2020.

Le film 1917 remporte 3 Oscars
-Meilleur photographie
-Meilleur mixage de son
-Meilleurs effets visuels

#Oscars2020

 

Affiche du film.

Affiche du film.

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