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30 Décembre 2019
Au côté de Tony Curtis et de Jack Lemmon, elle forme le trio gagnant de cette comédie culottée de Billy Wilder, qui évita la censure.
Soixante ans déjà ! Et toujours les mêmes éclats de rire. Magie d'une comédie indémodable, d'un classique qui a traversé les années en jouant (déjà !) avec subtilité avec les codes du masculin/féminin et du travestissement. On se souvient de cette histoire farfelue et abracadabrante où il est question de gangsters, de prohibition, de whisky frelaté, de travestis, de belles pépées et de jazz. On se souvient de Joe/ Tony Curtis, alias la saxophoniste Joséphine, et de Jerry/Jack Lemmon, alias la contrebassiste « Daphné », transformés en travestis au milieu d'un joyeux orchestre de femmes parmi lesquelles la craquante Sugar/Marilyn Monroe, chanteuse et joueuse d'ukulélé. On n'oublie pas non plus cet ex-playboy (Joe E. Brown) raide dingue de « Daphné », tous deux réunis à la fin dans une réplique d'anthologie – Nobdoy is perfect – et ce vilain gangster (George Raft, le Scarface de Howard Hawks) qui veut éliminer tout le monde. Le tout en noir et blanc dans une ambiance qui rappelle les films des années 30.
Certains l'aiment chaud (Some like it hot) (1959) : l'histoire d'une comédie improbable, culottée ou comment déjouer habilement le sinistre code Hays qui, à l'instar de la bien-pensance ou de la pensée unique d'aujourd'hui, régit le cinéma américain, autrement dit prescrit ce qu'il faut montrer ou pas, faire ou ne pas faire. Une véritable censure que Billy Wilder et son scénariste Izzy Diamond vont superbement ignorer en jouant sur la transgression comique. Le cinéaste disait : « La censure étant évidemment toujours très bête, elle incite à la contourner […] Nous ressentions la censure comme un défi. Nous éprouvions le besoin de nous payer sa tête, d'être plus malins qu'elle. »
Billy Wilder, qui a déjà joué la carte du déguisement avec la transformation d'une adolescente en fillette dans Uniformes et jupons courts (1942), va reprendre ce procédé dans Certains l'aiment chaud. Après tout, le travestissement, avec ses gags et ses quiproquos sexuels, ne manque jamais de ressorts comiques qui narguent la morale.
Pas de tabou ni d'interdit ici ! Et pour imposer le film aux studios et aux esprits étriqués, un argument imparable : Marilyn Monroe et sa « vulgarité élégante », dixit Billy Wilder. Icône absolue de la pin-up des années 60, marque de fabrique d'une Amérique puritaine, un peu dépressive et néanmoins festive. Hollywood tient là son arme de séduction massive, celle qui fait battre le cœur de millions d'hommes – dont votre serviteur – dès qu'elle apparaît à l'image de Certains l'aiment chaud. À l'époque, on appelle ça le sex-appeal, un truc indéfinissable qui rend les hommes fous comme le loup dans le dessin animé de Tex Avery.
Alors, oui, difficile d'oublier son sensuel « poupoupidou » délivré les yeux dans les yeux du spectateur lorsqu'elle chante « I Wanna Be Loved by You », moulée dans une robe quasi transparente au dos ouvert dessinée, comme tous ses costumes, par Orry-Kelly – le seul à remporter un oscar pour le film.
Billy Wilder, avec lequel elle a déjà tourné Sept Ans de réflexion, sait que Marilyn veut le rôle et elle l'aura sans difficulté. Il ne le cache pas : « L'intrigue et la présence de Marilyn Monroe créaient une telle tension dramatique pour le spectateur que cela ne pouvait se décharger autrement que par une sorte d'explosion comique. On avait une belle bombe à tirer dans ce canon… »
Et le réalisateur de Certains l'aiment chaud va tout faire pour magnifier à l'image « la femme la plus désirée du monde », ce pur fantasme qu'il montre sous tous les angles en accentuant ses formes généreuses via des tenues suggestives sous le regard halluciné du tandem Tony Curtis/ Jack Lemon. En soutien-gorge dans le compartiment du train ou en robe moulante dans le cabaret qui suggère sans montrer, elle fait tourner toutes les têtes.
« Monroe était là et ça vous coupait le souffle », avoue Billy Wilder qui, pourtant, s'est juré de ne plus tourner avec l'actrice après le tournage épouvantable de Sept Ans de réflexion, en 1955. « Marilyn était imprévisible, je ne savais jamais ce qu'elle allait faire, comment elle allait jouer une scène. » Mais il est bien obligé de reconnaître que même si l'actrice oublie son texte, ses répliques, collectionne les caprices, manque de confiance en elle, elle n'est pas comme les autres : « C'était étonnant le rayonnement qu'elle dégageait. C'était très dur de tourner avec Marilyn Monroe, mais ce qu'on arrivait tant bien que mal à tirer d'elle, une fois sur l'écran, était tout simplement étonnant. »
Pour entourer la star, Tony Curtis et Jack Lemmon (l'acteur fétiche de Billy Wilder) forment un duo épatant et complice à tel point que l'on ne voit pas aujourd'hui qui aurait pu les remplacer, tant leur numéro frise la perfection. « Les deux rôles importants étaient ceux des deux hommes qui doivent s'habiller en femmes, c'est là-dessus qu'on comptait », se souvient Wilder. Et ils n'ont pas hésité à se travestir : le premier en se souvenant d'une star du muet et de Grace Kelly ou en imitant le style classieux de Cary Grant ; le second, en pensant à sa mère. « L'étincelle entre deux acteurs ne peut venir que naturellement, se souviendra Wilder, ça ne peut pas se fabriquer. Pour Tony Curtis et Jack Lemmon, je savais que c'était là. Vous les mettiez ensemble et c'était là. Ils étaient comme deux frères. »
À l'image, les deux s'amusent comme des fous. Lemmon est ravi de s'habiller en femme et Curtis est une parfaite Joséphine, même s'il a bien du mal à poser sa voix sur l'aigu. Son humour est imparable et sert bien la promotion du film : « De toutes mes partenaires féminines, la seule avec qui je n'ai pas couché, c'est Jack Lemmon. »
Tout est en place pour faire de Certains l'aiment chaud un succès (4,5 millions de spectateurs en France). Jusqu'à la réplique finale : Nobody is perfect, lancée par Osgood/Joe E. Brown, le milliardaire fou amoureux de Jack Lemmon/Jerry quand il découvre que c'est un homme. Pourtant, Billy Wilder et son scénariste Izzy Diamond n'étaient pas convaincus par cette répartie. Elle a traversé les années et demeure la marque de fabrique du film.
À lire Conversations avec Billy Wilder, par Cameron Crowe (Actes Sud)
Et tout le reste est folie, Billy Wilder et Helmut Karasek (1993, Robert Laffont)
" Certains l'aiment chaud " : le " poupoupidou " de Marilyn
Soixante ans déjà ! Et toujours les mêmes éclats de rire. Magie d'une comédie indémodable, d'un classique qui a traversé les années en jouant (déjà !) avec subtilité avec les codes du ...
L'article de Jean-Luc Wachthausen in Le Point.