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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 1.700 articles.

La tondue. Le livre de Philippe Frétigné et Gérard Leray.

La prisonnière passe, elle est blessée. Elle a
On ne sait quel aveu sur le front. La voilà !
On l'insulte ! Elle a l'air des bêtes à la chaîne.
On la voit à travers un nuage de haine.
Qu'a-t-elle fait ? Cherchez dans l'ombre et dans les cris…
Victor Hugo, L'année terrible

Elle s'appelait Simone.

Simone Touseau.

Elle est née le 19 août 1921.

Au domicile familial, 18 rue de Beauvais.

A Chartres. 

Préfecture de l'Eure-et-Loir.

Qui compte, à cette époque, 27.000 habitants.

Elle est née de Georges Touseau et Germaine Villette.

Mariés à Chartres le 29 avril 1913.

Ella a une sœur aînée, Annette, née à Chartres, le 9 septembre 1914.

Comme sa soeur, elle suit sa scolarité à l'externat Sainte-Bernadette, rue des Lisses.

Jusqu'au certificat d'études primaires.

Puis à l'institut catholique Guéry (pension Notre Dame), place Collin-d'Harville.

Elle est méprisante et désagréable avec les autres élèves :

"Simone était vraiment désagréable. Lorsque nous fréquentions toutes deux l'école Sainte-Bernadette, je guettais son départ depuis ma maison voisine de la sienne afin de partir après elle pour éviter sa compagnie."

L'été 1941, elle obtient le baccalauréat sciences, langues vivantes (anglais et allemand) et philosophie.

Dès l'âge de 14 ans (1935 ?) elle a dévoilé son penchant pour le national-socialisme.

Elle a besoin de prendre une revanche sur les faillites successives de ses parents.

Et en vient à admirer l'ordre nazi, synonyme de régénération.

"Le déclassement de sa famille l'affecte profondément et agit sur elle comme un puissant révélateur d'injustice et de frustration. Cette écorchée vive, dont le père s'efface devant la personnalité écrasante de sa mère, en vient à admirer l'ordre nazi, synonyme de régénération. Elle refuse de s'identifier à sa sœur qui sacrifie son existence et son salaire de fonctionnaire pour aider leurs parents à surmonter leur revers de fortune."

Elle commence à flirter avec des garçons dès l'âge de 15 ans.

Ce qui lui vaut rapidement la réputation d'une fille à la cuisse facile et aux mœurs légères.

Le baccalauréat en poche, elle saisit l'occasion d'une offre d'emploi comme interprète dans les services administratifs de l'armée d'occupation.

Elle est employée à la Manutention, zone militaire jouxtant la caserne Marceau, dans les quartiers des Comtesses, au sud de la ville.

Et puis, c'est la rencontre.

Avec le beau Erich Göz, le responsable de la librairie militaire (FrontBuchHandlung) dans le local commercial réquisitionné au 26 de la rue du Bois-Merrain.

"Ce bibliothécaire de profession est rattaché au service de presse et de propagande (Aussenstelle Presse und Propaganda) de la Feldkommandantur 751, la principale unité militaire d'occupation stationnée à Chartres au lendemain de l'armistice."

Erich est né le 20 septembre 1909.

A Künzelsau. Bade-Wurtemberg.

Il est le deuxième fils du juge de district Erwin Göz.

Il a douze ans de plus que Simone.

"Cet allemand pouvait avoir une trentaine d'années, était assez grand, présentait bien. Il était, je crois, d'une niveau intellectuel assez élevé."

L'impétueuse Simone impose rapidement à ses parents de le leur présenter.

Ils reçoivent rapidement Erich à la table familiale.

En fait, Simone l'a rencontré quand elle révisait son bac à la bibliothèque municipale de Chartres.

"Erich Göz loge à proximité de sa librairie dans une chambre réquisitionnée au domicile d'un comptable, Jean C., au numéro 21 de la rue Noël-Ballay."

La relation entre les deux jeunes gens n'échappe pas au voisinage immédiat.

Simone est mécontente de la faiblesse de son salaire et de son emploi du temps trop chargé à la Manutention.

C'est alors qu'une occasion se présente :

"Une collègue interprète au bureau de placement allemand, installé au 35, rue de la Tonnellerie, en plein centre ville, et qui recrute les ouvriers volontaires français pour travailler en Allemagne - au titre de la Relève prônée par Pétain et Laval -, Ella Amerzin-Meyer, dont l'accouchement est imminent, propose à Simone de la remplacer durant la fin de sa grossesse et les premiers temps de sa maternité."

Retenez bien ce nom : Ella Amerzin-Meyer.

"Née en Suisse alémanique le 22 août 1911, parfaitement bilingue, elle est arrivée à Chartres à la suite de son mariage avec un pilote français, le capitaine Georges Meyer, héros de la Première Guerre mondiale, dont elle vient de divorcer. Ella collectionne les amants, qu’elle n’a pas de mal à trouver dans son milieu professionnel."

in Paris Match du 22 août 2014.

Nommée le 1er septembre 1942, Simone n'occupe ce poste que trois mois. 

En réalité, Simone est très perturbé par le départ de son fiancé Erich, le 5 novembre 1942, pour le front soviétique.

"En décembre 1942, Simone est admise à travailler comme secrétaire-interprète dans les services administratifs du Front Stalag 153, au sein de la FeldKommandantur installée à l'angle du boulevard Chasles et de la rue Mathurin-Régnier, au siège réquisitionné de la compagnie d'assurances Les Travailleurs français."

Sans doute doit-elle ce job à son amie Ella Meyer.

Début février 1943, elle apprend la reddition de la 6e armée du maréchal Friedrich Paulus à l'Armée rouge.

Véritable coup de tonnerre pour les partisans de Vichy.

"Ce même février 1943, Ella Meyer est promue interprète principale au siège du SIPO-SD de Chartres, avec un salaire de 150 marks, environ 3 600 francs. C'est la conséquence logique de son intimité avec Kreuzer, le chef de la sécurité nazie locale…"

Le 24 février 1943, une rafle a lieu à Chartres. Et concerne les voisins des Touseau. (*)

Quelques jours plus tard, Simone adhère au PPF (Parti Populaire Français) de Jacques Doriot.

Au milieu de l'été 1943, Simone reçoit une lettre que Göz a été gravement blessé en Russie et rapatrié pour une longue convalescence dans un hôpital militaire près de Munich.

Elle décide de se rendre le plus rapidement possible en Bavière.

Et sollicite, dans ce but, un emploi de travailleuse volontaire en Allemagne.

Elle débarque à la gare de Munich début septembre 1943.

Mais, au lieu de l'emploi d'interprète qu'elle souhaitait, elle se retrouve dessinatrice industrielle au siège de la BMW (Bayerische Motoren Werke).

Au mois d'octobre 1943, Simone s'aperçoit qu'elle est enceinte.

Erich Göz est prêt à reconnaître l'enfant.

Mais pas si facile en Allemagne nazie d'épouser une Française.

Elle est de retour à Chartres début décembre 1943.

Le 23 mai 1944, à 18 h 45, la jeune femme accouche d'une petite fille à la maternité de l'Hôtel-Dieu.

Son père a refusé que l'accouchement se déroule dans la maison familiale.

Elle reçoit une dernière lettre d'Erich le 2 juillet 1944 (il sera tué près de Minsk, le 8 juillet).

Le 16 août 1944, au matin, Simone, sa mère et son père sont arrêtés par les FFI locaux.

Elle est tondue et marquée au front au fer rouge.

Sa mère est également tondue.

Ils sont ensuite conduits dans les locaux de la préfecture de Chartres.

Et c'est là, au retour de la préfecture, alors qu'elle a demandé de récupérer son bébé pour l'allaiter, que Capa prend sa fameuse photo.

Qui fera le tour du monde.

…………………………

Oui, Simone était méprisante vis-à-vis de ses voisins.

Oui, elle a couché avec un allemand.

Elle niera d'ailleurs par la suite avoir eu un autre amant allemand avant de partir en Allemagne en 1943.

"Avec sa mère, elle (Simone) prétend n'avoir reçu que deux Allemands, son fiancé et, après le départ de celui-ci, qui ne pouvait lui écrire directement d'Allemagne, un de ses camarades qui transmettait les lettres."

"Je n'ai jamais eu en-dehors de mon fiancé un amant allemand. Celui que le commissaire de police a qualifié allemand travaillait avec moi. Il recevait des lettres de mon fiancé et se bornait à me les amener."

En effet, les soldats allemands n'ont pas le droit d'écrire à des Françaises.

Oui, elle a travaillé pour les Allemands, tant en France qu'en Allemagne.

Mais a-t-elle vraiment dénoncé ses voisins victimes de la rafle du 24 février 1943 ?

Nul ne peut le dire avec certitude.

Tout ce que l'on sait de façon certaine c'est que les voisins ont été balancés par un ou une "angeher".

"Témoin Fourmas : "Le civil allemand a répondu en allemand toujours et j'ai parfaitement compris qu'il s'agissait d'un dénonciateur ou d'une dénonciatrice, je ne me souviens plus. L'Allemand a employé le mot "angeher""

Mais tout semble accuser plutôt la suisse allemande Ella Meyer.

Qui, maline, a quitté le sol français, emportée par la débâcle nazie d'août 1944.

Et a abandonné sa nationalité helvétique pour la nationalité allemande le 30 mai 1944.

Est-ce elle la balance qui a valu l'arrestation des voisins de Simone ?

Elle sera arrêté le 28 février 1946 par la sécurité militaire britannique et bénéficiera d'un non-lieu le 18 octobre 1950.

Elle vivra tranquillement jusqu'à l'âge de 106 ans à Hanovre, où elle décèdera le 20 janvier 2016.

Il faut lire ce livre.

Pour le foisonnement des témoignages entendus lors de son élaboration.

Dont certains n'hésiteront pas à accuser Germaine Touseau d'avoir épié derrière les portes des uns et des autres pour savoir s'ils écoutaient la BBC.

Pour le procès de Simone Touseau relaté très précisément.

Pour ne pas oublier que cette période de la Libération a connu des excès en tous genres.

Des arrestations arbitraires.

Par les FFI de la vingt-cinquième heure...

Des règlements de compte.

Sur les 20.000 tondues recensées, la moitié au moins n'auraient pas été coupables.

D'août 1944 à novembre 1946, Simone et sa mère seront incarcérées à Chartres, au camp de Pithiviers puis à Fresnes.

28 novembre 1946 : Classement de l'affaire par le Parquet de la Cour de justice du département de la Seine.

Le 8 mars 1947, Simone Touseau est condamnée à dix ans d'indignité nationale.

Simone a essayé de refaire sa vie avec sa famille à Saint-Arnoult-en-Yvelines.

En épousant le 13 novembre 1954 un comptable dont elle aura deux enfants entre 1956 et 1959.

Jusqu'à ce que cette horrible affaire la rattrape.

Son mari repartira dans son Isère natale avec les deux enfants et demandera le divorce.

Elle décédera, à l'âge de 44 ans, très seule et très alcoolique à l'Hôtel-Dieu de Chartres le 21 février 1966.

Liliane Langellier

 

N.B. (*) La rafle chartraine du 24 février 1943.

"Dans la nuit du mercredi 24 au jeudi 25 février 1943, autour du domicile des Touseau, cinq chefs de famille sont arrêtés par la police de sûreté allemande (SIPO-SD), conduite par l'Untersturmführer - premier grade d'officier dans la SS, équivalent à celui de lieutenant - Lorenz Kreuzer, né en 1897, ancien sergent de police à Munich.

Les cinq hommes arrêtés ont été dénoncés comme "ennemis de l'Allemagne", accusés d'écouter le BBC. Henri Godard, 60 ans, employé des contributions directes (l'administration des impôts), Fernand Guilbault, 52 ans, représentant de commerce, Edouard Babouin, 46 ans, agent d'assurances, René Ligneul, 52 ans, expert-comptable, ainsi que Didier Hée, le plus jeune, 28 ans, comptable, sont enfermés dans le quartier militaire allemand de la prison qui se trouve rue des Lisses."

(NDLR Godard est libéré le lendemain : il ne possède pas de poste de radio TSF !)

(……….)

Déportés le 18 avril 1943 au camp de concentration de Mauthausen en Haute-Autriche.

(…) Seuls René Ligneul et Didier Hée réussissent quant à eux à survivre malgré leur délabrement physique."

 

Le livre de Frétigné et Leray. Publié en septembre 2011 aux éditions Vendémiaire. 22 Euros.

Le livre de Frétigné et Leray. Publié en septembre 2011 aux éditions Vendémiaire. 22 Euros.

Simone Touseau est la quatrième. Avec un visage poupin et une robe à carreaux. Ella Meyer est la 3ème en partant de la gauche.

Simone Touseau est la quatrième. Avec un visage poupin et une robe à carreaux. Ella Meyer est la 3ème en partant de la gauche.

La photo de Capa.

La photo de Capa.

Erich Göz. Le fiancé allemand de Simone Touseau.

Erich Göz. Le fiancé allemand de Simone Touseau.

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