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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 1.700 articles.

Neiges russes

Je suis agacée...

Très...

Pour quelques 20 centimètres de neige, la France s'arrête.

Il y a une incroyable pagaille sur les routes...

Et notre facteur n'est pas passé pendant 4 jours !

La poste de Pierres était fermée.

La nôtre aussi !

Motif : les employés ne pouvaient pas prendre leur voiture pour venir embaucher !

Pauvre France.

Une armée de bras cassés !

Alors j'ai repensé à sa photo...

A sa photo à lui.

A moitié enterré dans la neige.

Ce foutu hiver 1923 à Pétrograd (Saint Petersbourg maintenant).

J'ai retrouvé ses chers mots de sa belle écriture.

Une époque où l'on ne craignait pas la neige...

Et encore moins en Russie.

Une époque où il y avait de vrais hivers.

Pas cinq jours de neige et puis basta !

Et oui ! De vrais hivers.

Les mots pour le dire :

Partage :

Pétrograd, le 26 novembre 1923

Ma Chérie,

Petrograd a pris son aspect d'hiver, voici 48 heures qu'il est recouvert de neige et en voilà ainsi pour 4 mois. Il y a deux degrés en-dessous de zéro, c'est te dire que la neige tient. Les traîneaux ont fait leur apparition en remplacement des taxis ou tout au moins ce qui tient lieu de taxis. J'aime beaucoup mieux ces temps de neige que la pluie comme nous en avons eu depuis notre arrivée. Petrograd était sale, boueux, maintenant son joli manteau de neige lui donne un tout autre aspect. Je vais te dire quelque chose qui va te surprendre, depuis notre arrivée, je n'ai pas fait une seule fois mes chaussures. Nous avons des galoches, expression russe, en réalité des caoutchoucs et nous ne sortons jamais sans, c'est ce qui fait que nos chaussures sont toujours propres. Ces caoutchoucs sont bien plus pratiques que ceux que l'on trouve chez nous. Une petite habitude de quelques jours et ces caoutchoucs se mettent sans y mettre les mains. Pour les retirer il y a une saillie au talon sur laquelle on appuie avec l'autre pied pour les enlever. Je n'aurais pas eu besoin d'acheter une paire de chaussures si j'avais su qu'il en était ainsi car ce sont les caoutchoucs qui s'usent ; je les ai payés 45 roubles la paire, c'et bien plus cher qu'en France mais c'est bien plus solide.

Je m'habitue petit à petit à ma nouvelle vie. Le temps au début m'a semblé long surtout pendant les quelques jours que j'ai gardé la chambre. Maintenant cela va mieux, je crois que le plus dur est passé au point de vue moral. Au point de vue physique ne t'en tourmente pas je me porte bien et j'espère qu'il en est de même de ton côté. Tu me diras comment tu as trouvé Mémé et Pépé, je ne leur ai pas encore écrit, d'ailleurs à part les cartes que je t'ai indiquées je n'ai encore écrit à personne.

Dis-moi comment tu t'es organisé à Chaudon !

Ici voici comment je vis : le matin lever à 9 heures on se lève très tard dans ce pays. Déjeuner lait cacao pain et beurre, ensuite toilette et départ pour l'usine où j'arrive vers dix heures et demie.

A l'usine je reste jusqu'à 4 h 1/2 ou 5 heures. Vers 2 heures je mange un croûton de pain et beurre que j'ai emporté et je bois un verre de thé fait à l'usine.

Je rentre à 5 h 1/2 du soir et je monte d'un étage pour me rendre à 6 h chez Mme Moscovitch pour dîner.

Menu : Une bonne soupe, viande, légumes, légume, dessert, boisson et verre de thé.

Nous causons un peu et vers 8 heures nous descendons d'un étage pour rejoindre notre chambre.

Nous bouquinons, lisons du russe ou tout au moins essayons de le faire, par-ci par-là une partie d'échecs ou un petit tour en ville car il fait très bon à marcher. Hier dimanche nous sommes sortis après dîner et nous avons échoué dans une pâtisserie où nous nous sommes attablés et avons attaqué quelques gâteaux et un café au lait bouillant, il était dix heures du soir. Tu vois d'ici comme nous sommes décalés de notre petite vie habituelle et ma foi il faut quelques semaines pour s'y faire. Aujourd'hui nous avons reçu du bois de l'usine pour notre appartement, je n'en connais pas encore le prix. Le Vornick (portier) l'a descendu à la cave où il va le soir, il les montera suivant nos besoins. Il a fait son prix, environ 15 roubles pour 1/4 de mètre cube (scier et monter au 2ème étage. Je crois que le prix du bois n'est pas supérieur.Je compte environ 2 roubles par jour mais il n'y a que deux cheminées ; pour un appartement de 5 pièces la consommation serait forcément supérieure.

Je ne sais pas ce que mon camarade va faire, il est indécis s'il doit rester ou retourner à l'Hôtel ; il était retourné à l'Hôtel, il y avait retenu à nouveau une chambre pour lui mais le soir il y a eu une explication chez Mme Moscovitch et j'ai bien vu que cela ne leur faisait pas plaisir. Je l'ai rassuré en lui disant que même seul je garderais les deux pièces qui nous sont louées. Ces gens sont très gentils pour nous et je ne voudrais pas les froisser ce que mon camarade a dû faire dans une certaine mesure. Mme Moscovitch était très ennuyée car c'était elle qui était intervenue auprès de ses voisins de l'étage inférieur pour nous louer les deux pièces en question.

Ces voisins avaient préparé cela gentiment et cela aurait été très mal de notre part de les quitter huit jours après leur avoir causé un tel dérangement.

Moi je m'y trouve très bien et cela doit être merveilleux d'y habiter l'été. Les huit fenêtres donnent au sud.

Je vais t'annoncer quelque chose que je n'ai pas encore dû te dire. L'été il fait très bon, la chaleur y est tempérée, le maximum au soleil est de 30 degrés. En plein été il n'y a pas de nuit. Le soleil à peine couché se lève, mais pas à l'est comme chez nous mais près du point où il se couche. Les journées d'hiver y sont relativement courtes. Les plus courtes qui sont en décembre sont de 5 heures entre le lever et le coucher du soleil.

Tu vois comme tout est différent de notre Europe occidentale et toutes ces différentes choses méritent d'être vues. A l'heure actuelle, il y a trois chefs du Trust qui partent pour Berlin et Paris. Ces personnes doivent traiter de grosses affaires avec notre Compagnie française au compte du Trust russe.

Je crois qu'une fois l'hiver passé le séjour à Pétrograd sera agréable mais soyons prudents et attendons les événements avant de rien projeter pour le printemps.

Je te demanderai de m'écrire souvent car je suis très content de recevoir de tes nouvelles. Aujourd'hui 26 novembre, parti depuis 27 jours je n'ai encore reçu que deux lettres et je me demande s'il n'y en a pas d'égarées. Envoie les moi toujours à l'adresse que tu as et surtout fais l'adresse très lisible pour que tes lettres m'arrivent avec certitude. Je ne te donnerai pas l'adresse où nous habitons, il vaut mieux les adresser au Trust elles risquent moins d'être égarées.

N'oublie pas les cours des changes.

Reçois mes bons baisers et meilleures caresses.

Ton Gut.

 

Petrograd, 19 janvier 1924 

[...]

Samedi je me suis débauché j'ai été à un concert suivi de bal avec Van Poorten et nous sommes rentrés à 4 heures du matin. Tu ne peux pas te figurer le monde que j'ai rencontré à cette heure-là. Quel drôle de pays ! Ce bal était donné pour la Société pour l'amélioration de la vie des ingénieurs russes. Gentille petite réunion où nous avons rencontré beaucoup de personnes parlant français. Le concert était agréable et nous avons vu quelques danses russes anciennes ainsi que des intermèdes de musiques. En arrivant à cette réunion nous avions nos moustaches remplies de petits glaçons et le col de ma pelisse, qui était relevé, était rempli de givre sur le devant, il faisait 18 degrés centigrades et l'extrémité du nez commence à ne pas avoir chaud à cette température. Froid sec très sain, j'en suis surpris moi-même je ne tousse pas du tout et mes bouteilles de sirop restent tranquillement dans les malles avec la ouate thermogène. Je n'ai jamais eu froid aux pieds, les caoutchoucs tiennent très chaud, ils sont feutrés à l'intérieur. Au corps je n'ai pas froid du tout, il n'y a que le nez et les mains qui craignent.

Leningrad, 15 mars 1924

[...]

Ici il gèle toujours, il y a eu un commencement de dégel mais il n'a pas duré et hier il y avait 15 degrés centigrades, par un beau soleil de printemps mais où le froid domine. Donc, depuis décembre il n'a pas dégelé et cela est extrêmement rare ici C'est un hiver froid mais très sain, car très sec. Il est tellement tombé de neige depuis trois mois que l'on craint de grosses inondations si le dégel a lieu rapidement. Je ne sais encore comment je viendrai et je dois aller me renseigner demain samedi sur les transports avec mon interprète Martchenkov. Je sois sortir avec lui dimanche pour visiter un musée.

Léningrad 25 mars 1924

[...]

Que de neige, que de neige. Jamais depuis de longues années on a vu ici un hiver aussi long avec autant de neige. Lorsqu'il y a plusieurs jours qu'il n'en tombe plus, elle durcit et l'on marche sur un sol neigeux mais dur. Et bien, ce matin il y en avait encore 30 centimètres et il était très difficile de marcher dehors. Tout le monde est fatigué de cette saison trop longue et aspire à de belles journées de printemps. Il y aura certainement de grosses inondations lorsque toute cette masse de neige va fondre et elle fondera d'autant plus vite que le printemps viendra tard.

Leningrad, 23 avril 1924

[...]

Temps affreux ce matin, il y a 20 centimètres de neige tombée dans la nuit. Les glaces de la Neva sont parties, le fleuve est dégagé mais ce soir ou demain le fleuve va être recouvert d'énormes blocs de glace venant du lac où le fleuve prend sa source et se dirigeant vers la mer. Il paraît que c'est superbe à voir.

C'est cet énorme volume de glaces qui refroidit la température tous les ans et il ne faut jamais se découvrir avant malgré les beaux rayons de soleil qu'il y a avant le passage des glaces.

 

 

Bon.

Voilà qui vous donne une mesure de comparaison !

Mais les anciens étaient habitués à des hivers rigoureux et ils étaient loin d'avoir notre confort.

Et ils avaient aussi une qualité qui s'est bien perdue : ils ne geignaient pas au moindre flocon de neige...

Alors Les Russes, vous pensez !

Si vous voulez en savoir plus sur Gut, lire :

Gut et Louise

Pâques à Léningrad

Et puis,

Et puis vivement le dégel !

Liliane Langellier

Notes

1. Petrograd est devenu Léningrad le 24 janvier 1924.

Puis à nouveau Saint Petersbourg le 6 septembre 1991.

2. Auguste Courtois est né à Lormaye le 4 septembre 1880.

Il a épousé Louise Chandebois le 8 juillet 1905 à Chaudon.

Il est mort à Chaudon le 15 mai 1963.

Louise Chandebois est née à Chaudon le 28 février 1884.

Elle est morte à Dreux le 28 octobre 1971.

Neiges russes
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