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22 Mars 2017
Guy, je l’ai repéré du jour même où je me suis inscrite sur #Twitter
Soit en septembre 2010.
Je vous ai déjà parlé de mon petit détecteur…
Oui mon petit détecteur pour repérer les hommes brillants…
Alors, Guy il n’y a pas échappé !
Une vraie pointure !
Il a coché toutes les cases : humour, culture, impertinence, etc…
Une vraie pointure mais avec la juste humilité des grands…
J'ai pris l'habitude de le suivre aussi sur son blog « l’épicerie »…
Et c’est parce qu’il a créé un blog au nom de la boutique de ses parents, que ça m’a donné l’idée de faire de même avec la boutique des miens : « Chez Jeannette Fleurs ».
J'ai lu immédiatement son livre dès sa sortie le 1er avril 2015.
Je suis au quotidien et ses tweets et ses interventions sur France Info à 6 h 55 dans "T'as vu l'info !"
Pour vous en parler, je pourrais ajouter quelques lignes désuètes ou ennuyeuses à son profil Wikipedia…
Mais j’ai mieux en stock !
Hier, cela a fait deux ans tout ronds qu’un article de Dominique de Saint Pern est paru dans les colonnes du Monde….
Un article comme je les aime…
Un article pour annoncer la sortie du livre de Guy : « Vous m’avez manqué » (Editions des Arènes).
Alors je me suis consciencieusement acquittée des deux euros pour le lire en entier…
Et c'est parce que j'ai signalé cet article dans un tweet que Guy a rejoint mes followers aujourd'hui !
Alors cet article, je vous le retranscris….
Oui, je vous en fais profiter !
Je partage, quoi….
Guy Birenbaum, le naufragé de Twitter
Accro aux réseaux sociaux et à l'info en continu, le journaliste a fini par tomber en dépression. Il raconte dans un livre son retour à la vraie vie.
Par Dominique de Saint Pern
Guy Birenbaum, 53 ans, intellectuel, éditeur, journaliste, polémiste et décrypteur de l’information sur le Web, retournerait presque les poches de son jean pour vous prouver qu’elles ne planquent ni smartphone ni oreillette. Il y a du désarroi dans son regard. Celui du type qui, un trop long moment, s’est perdu de vue.
« Je me suis laissé dériver et j’ai atteint ce point – invraisemblable pour quelqu’un qui a travaillé pendant des années sur une thèse de doctorat de 800 pages – où je tweete : “Charlotte a chanté comme une patate à ‘La Nouvelle Star’” et là, tout le monde me trouve formidable ! » Tout le monde, à savoir les 145 000 followers (option basse) qui le suivent sur la Toile.
Le livre qu’il publie aux Editions des Arènes, Vous m’avez manqué (sortie le 1er avril), raconte comment M. J’ai-un-avis-sur-tout, maître de l’univers blogs et tweets, de l’info en continu, comment ce type qui se croyait plus malin que tous les autres s’est laissé aspirer par le monde virtuel avant de sombrer, en 2014, dans une dépression de type 2.0, jusqu’à reprendre – humblement, dit-il – pied dans la vraie vie. « J’ajoutais du bruit au bruit. Je ventilais… La notoriété pour rien. Je m’en veux à mort. » Il baisse le nez. « Je me suis gâché en quittant la fac. Je suis fait pour enseigner, transmettre. »
Rappel des faits. Après des études de droit et de sciences politiques, Guy Birenbaum soutient sa thèse de doctorat en 1992 à la Sorbonne. La journaliste Laurence Jousserandot, l’une de ses plus vieilles amies, s’en souvient, elle était tout ouïe dans le grand amphi : « Guy a été le premier chercheur universitaire à s’intéresser au Front national. Eh bien, le jour même où il soutenait sa thèse devant le jury, elle était déjà en vente dans la librairie en face ! Pour un jury de thèse, ça le fait moyen. Cela explique qu’il n’ait jamais obtenu de poste à la Sorbonne… » Ou l’art de se tirer une balle dans le pied. Déjà.
La fac de Montpellier-I lui offrira un poste de maître de conférences en sciences politiques mais, entre-temps, Birenbaum a participé à l’aventure de Globe Hebdo, auprès de Georges-Marc Benamou. La presse le passionne, le happe, c’en est fait. Consultant auprès de Jean-Luc Mano, alors directeur de l’information à France 2, puis chroniqueur à VSD, il scrute et décrypte la vie politique.
Il dirige la collection « Impacts » aux éditions Denoël, y publie des documents d’actualité, des témoignages explosifs (le juge Eric Halphen sur l’affaire des HLM de Paris, Samira Bellil pour Dans l’enfer des tournantes…), lui-même écrit Nos délits d’initiés (Stock, 2003), qui dénonce les connivences politico-médiatiques. Premier tollé, premier fourgon d’ennemis.
Il saute à pieds joints dans plusieurs mondes : presse écrite, radio, télé, édition. Il y aura Canal+, Rire et chansons, Europe 1 (« Le grand direct » de Jean-Marc Morandini, « Des clics et des claques » avec Laurent Guimier et David Abiker), les sites Web de 20 minutes, du Post.fr, « Ligne jaune » pour celui d’Arrêt sur images…
Le convoi s’emballe, Birenbaum croit le contrôler. Il scrute le Web et la manière dont l’actualité y est traitée. Anne-Sophie Mercier, aujourd’hui journaliste au Canard enchaîné, l’a connu dans les studios de RTL, en 2003, où ils bataillaient allègrement dans l’émission « On refait le monde ». « C’était un polémiste cultivé et subtil, dit-elle. Le meilleur. Il n’était pas toujours là où on l’attendait. A l’époque, je ne sentais pas en lui l’envie d’être médiatisé. En 2006, il est passé à Europe 1. Il y est devenu plus systématique, plus péremptoire. En l’écoutant je me disais : “Birenbaum, c’est bien mieux que ça !” »
En 2006, le Web a fermement tissé sa toile, les internautes se dirigent droit sur elle tels des moucherons insouciants. Birenbaum vient de perdre la maison d’édition qu’il a créée, les Editions Privé. Il veut publier le témoignage de Laurent de Villiers (fils de l’homme politique Philippe de Villiers), qui accuse son frère de l’avoir violé. Des pressions politiques, assure-t-il, l’en empêchent.
Blessé, il se jette à fond dans le Web et s’y reconstruit. Chroniques radio ou blogs, il alerte sur les perversions d’Internet. « Mon métier était d’expliquer le danger. Au lieu de quoi, pendant des années, je me suis fait le prosélyte de la sérendipité [la découverte fortuite d’informations pertinentes que l’on ne cherchait pas] : “Formidable, vous appuyez sur un bouton et vous êtes propulsé à 10 000 kilomètres…” Aujourd’hui, je le dis : “Je me suis trompé. La sérendipité est une catastrophe, il n’y a rien de pire.” »
Là encore, il se trompait, le pire, pour lui, existait : les tweets. Rageurs, rigolards, instantanés. 140 signes pour réduire la pensée d’un intellectuel à un éternuement d’humeur. « Je trouvais ça bien. J’existais. » Car Birenbaum est devenu une marque, ses followers lui apportent la reconnaissance que l’université et les médias lui refusent.
Il en est arrivé au point où l’essentiel n’est plus ce qu’il dit, ni qu’il soit aimé ou détesté, mais qu’il soit commenté et repris sur d’autres sites. Shooté aux vivats, connecté en permanence, il absorbe comme une éponge la violence de l’époque et l’antisémitisme qui s’épanouit sur Internet. « Porc sioniste », « Youpin crétin », un internaute lui promet « Drancy lors de la prochaine rafle »…
L’extralucide qui avait cru à Internet comme au pouls d’un pays qui bat se fait couvrir de crachats dès qu’il allume son écran. « Tout ça parce que je m’appelle Birenbaum, parce qu’on ne sait pas quoi dire, alors on vous traite de “juif”… Enfant, jamais je n’ai entendu ça. Je suis français, point barre. »
Il fait comme si ça ne le touchait pas, s’en convainc. Il crâne, fanfaronne, rend les coups, met du charbon dans la chaudière. Pire, sa condition de bourlingueur du Web le condamne à entretenir son personnage d’hyperconnecté. Sous perfusion des réseaux sociaux, exclu de sa propre vie.
Son livre décrit minutieusement l’enfermement progressif de l’internaute dans une bulle virtuelle, où le monde familier n’existe plus et le temps se dilate. La présence physique mais l’esprit absent, l’automate qui accompagne ses filles (il en a trois) à l’école, sans un mot, avant de vite retourner à son écran, à son clavier, vers l’oubli de soi.
Trouville, son port d’attache depuis l’enfance, son refuge des week-ends, n’échappe pas à l’occupation ennemie : Birenbaum court sur la plage, oreillette branchée sur l’info en continu, il n’entend ni la rumeur de la mer ni le cri des mouettes, il regarde le paysage à travers le viseur de son smartphone, le mitraille pour poster la photo qui fera le buzz sur Instagram et partage avec la communauté des internautes ce qu’il est devenu incapable de savourer avec sa femme et ses enfants.
Le monde immense réduit à un écran de 4,7 pouces. Les heures passées à peaufiner une chronique, à balancer des tweets, à retoucher et envoyer des photos qui véhiculent l’illusion d’une vie chatoyante, pendant que la famille dîne, puis dort. « Est-ce que tu te rends compte que tu réponds à des gens que tu ne connais pas alors que tu n’arrives plus à nous parler, à moi et tes filles ? », lui fait remarquer sa femme. En vrai toxico, Birenbaum lui démontre qu’il n’est pas accro, il se déconnecte, quelques heures. Pour reprendre de plus belle.
La rentrée 2013 est ce que les scénaristes appellent un climax. Birenbaum assure depuis un an un matraquage quotidien sur le site du Huffington Post, modestement baptisé « Le 13 heures de Guy Birenbaum ». Là, il dénigre, cogne, fracasse, massacre avec entrain.
Il démarre le premier jour de la saison avec une vidéo qui, aujourd’hui encore, le consterne. Son idée était de dire « ras-le-bol de la rentrée », en réalité il filme son désespoir à l’idée de revenir vers ce qui le détruit à petit feu : « J’ai atteint le pathétique. Quand vous avez des prétentions intellectuelles comme j’ai pu en avoir, en arriver à faire une vidéo débile où je fais semblant de me noyer dans la Manche ! Sur le moment, j’ai trouvé ça très bien. »
En réalité, il amorce une dépression. « On n’a rien vu venir », assurent Bruce Toussaint, David Abiker, Laurent Guimier, ses amis et partenaires d’antenne sur Europe 1, qui le côtoient pourtant au quotidien. « Guy m’a toujours paru invincible », soupire Abiker. Mais à l’intérieur, c’est la souffrance. Indicible. Les trous d’air dans la poitrine. Les réveils en nage la nuit. Le dos bloque. Le ventre explose. Plus d’envie.
Le dégoût du Web, de sa lie, de ce que le désir frénétique de lumière a fait de l’intellectuel qu’il fut est, hélas, moins puissant que le besoin qu’il en a. D’autant que ses collaborations nourrissent sa famille. « Peu à peu, je l’ai vu se rabougrir sans raison et devenir flou », confirme David Abiker. Mais personne n’imagine la douleur. « Pourtant, tous mes papiers étaient des appels au secours », confie le repenti.
Il se cloître, se mure, se coupe de ses amis, s’effondre en silence et disparaît de la Toile pendant trois mois. « On se parlait tous les jours, s’étonne encore Bruce Toussaint, et du jour au lendemain : rien ! J’ai mis ça sur le compte de la dureté de notre métier. La télé, la radio sont des endroits violents. Pas une seconde je n’ai imaginé qu’Internet y jouait un rôle. » De quoi flanquer la frousse à ceux qui pratiquent le même sport et ils sont nombreux.
La fragilité de Guy Birenbaum est inscrite dans deux petits carnets qu’il n’avait jamais eu la curiosité d’ouvrir, lui qui aime tant fureter chez les autres. Ils racontent deux histoires écrites, à la main et sans ratures, l’une par sa mère, Tauba Zylbersteijn, et l’autre par son père, Robert Birenbaum, à l’occasion du travail de mémoire entrepris par Steven Spielberg en 1997 pour sa fondation, le Shoah Foundation, Institute for Visual History and Education.
Chacun de leur côté, ils décrivent leurs années de guerre et de vie clandestine, Robert en tant que résistant communiste, Tauba qui les vécut terrée dans une minuscule chambre de bonne. Elle avait 14 ans le 16 juillet 1942, jour de la grande rafle du Vel’d’Hiv. Elle réussit à se cacher avec sa famille rue Saint-Maur, dans le 10e arrondissement, grâce à une voisine qui leur prête une chambre de bonne de 6 mètres carrés. Ils s’y entassent.
Cette femme, Rose, a un fils engagé dans la Légion des volontaires français, « succursale de l’armée allemande », et qui désertera le front de Russie. Dès son retour chez sa mère où il se cache, le garçon repère la présence des Zylbersteijn qui, pourtant, retiennent leur souffle. « Tu caches des juifs et moi je les tue », dit-il à Rose. Il veut les dénoncer. Rose ira livrer son fils déserteur à la police pour sauver la mère de Birenbaum. « J’ai toujours été persuadé que je n’aurais pas dû naître. Parce qu’une mère qui “donne” son fils, ça n’existe pas. » Le travail fait en psychanalyse pendant sa dépression lui a permis de se confronter à lui-même.
Un bon psy, des médicaments, une femme qui se met en mode commando pour apporter des solutions et l’amitié l’ont extirpé de la Toile. Il a réappris à écrire à la main. Trois mois seulement, et il serait sorti d’affaire ? « Au risque que ça aille trop vite, que ça manque d’humilité dans la guérison », soupire Géraldine, sa femme, qui connaît l’oiseau. Bruce Toussaint se demande combien de temps Birenbaum va tenir. « Je ne peux m’empêcher d’avoir des doutes, non sur la volonté de Guy mais sur la puissance du Web et sa séduction dangereuse. »
En tout cas, après le carnage du 7 janvier dans les locaux de Charlie Hebdo, Birenbaum n’a pas bronché, pas plus qu’à la fausse info du décès de Martin Bouygues qui, elle aussi, a enflammé les réseaux sociaux. Là où il aurait tweeté comme un malade, il a fait le mort.
Même s’il a totalement disparu des réseaux pendant quelques mois, les dernières semaines l’ont vu revenir à une activité assez soutenue. Depuis qu’il a intégré la chaîne d’information continue France Info, en septembre 2014 (avec « L’autre info », qui lui permet d’approcher en douceur l’actualité et d’observer les réactions du monde politique), il se contente de regarder de loin les copains « qui continuent à tartiner des conneries ».
Il vous le jure dans les yeux : « Fini le club des péremptoires, des débatteurs capables d’avoir un avis aussi bien sur l’Ukraine que sur le prix du beurre… » Il a plus urgent à faire. Aller enfin au 209 rue Saint-Maur, en pèlerinage, avec son père. Et faire entrer Rose parmi les Justes.