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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 1.900 articles.

Mes années Publicis

                                                  « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous »

                                                                                                     Paul Eluard

C’était la belle époque des années 70.

La publicité vivait son âge d’or.

Tous les jeunes diplômés des grandes écoles de commerce se battaient pour entrer au Service Planning de Publicis Conseil.

J’étais jeune diplômée aussi.

J’y suis entrée aussi mais pas de la même façon !!!

En juin 1970, j’ai passé le concours de mon école…. Options Marketing et Journalisme.

La particularité de l’école était d'assurer le placement de ses élèves dans des sociétés avec pignon sur rue.

Une façon pour les parents de récupérer deux années qu’ils avaient payées très cher.

J’ai donc demandé une dispense à la directrice pour travailler dès le lendemain du diplôme.

Elle était l’épouse du maire de Boulogne sur Seine, Georges Gorse… Et c’est rapidement qu’elle m’a envoyé passer un entretien d’embauche dans une agence de pub rue de Silly à Boulogne même.

Habitant encore chez mes parents, j’allais bosser à pied… Heureuse époque !

Le directeur de la petite agence s’appelait « Favretto ». Et était italien.

Maman qui avait un traumatisme profond avec les histoires de traite des blanches, maman s’est montrée des plus méfiantes quand Raoul Favretto a rappelé pour m’engager.

« Cet homme a un accent ??? » Oui, maman, mais un accent italien !

Quant à Chouket, elle a décoché : « Le milieu du travail c’est pas la fac de Nanterre. On n’accepte pas de déjeuner avec son boss… »

C’était la folle mode des mini jupes.

Je la suivais de près cette mode.

J’étais belle car j’étais amoureuse.

La vie s’ouvrait à moi.

Je suis restée 6 mois dans l’agence de Favretto. Je m’y ennuyais sec bien que j’ai pu y apprendre de près la différence entre agence de publicité et régie publicitaire.

Puisqu’il assumait les deux.

Les après midis où je bullais seule, je n’avais pour compagnie que les hurlements de terreurs de porcs à l’abattoir proche.

Le bovarisme me guettait…

Mon fiancé débarqua à l’agence le jour de la mort du Général de Gaulle… Car servant dans la Marine Nationale, il avait eu quelques jours de congés…

Juste le jour où ce cher Favretto m’avait invitée pour la première fois à déjeuner en tête à tête avec lui. Précisons que mes tenues ultra courtes le bouleversaient…

Content il fut donc de voir le fiancé…

Je n’étais payée que 600 Francs par mois et je souhaitais gagner plus et ailleurs.

J’ai donc décidé fin novembre d’aller tenter ma chance ailleurs.

Le service placement de l’école m’envoya Boulevard Saint Germain chez Sélection Readers Digest. Où un poste de secrétaire de rédaction venait de se libérer au 1er février.

Tout le mois de janvier, soit un mois à ne rien faire, c’était inconcevable à cette époque…

J’ai donc poussé la porte de l’agence d’intérim la plus proche de chez mes parents.

Et au vu de mon C.V. ils m’ont expédiée illico au Service du Personnel de Publicis Conseil.

J’ai débarqué comme un OVNI dans cette administration si bien rangée.

Le directeur du personnel, Jean Cailloux , était le portrait craché d’Alain Barrière à l’époque où il nous chantait « Elle était si jolie… »

Un beau et grand brun avec des yeux bleus.

Pour être différente des autres membres de son service j’étais différente…

Il me refila le classement des doubles des récentes augmentations. Publicis Conseil à cette époque c’était quand même 750 collaborateurs .

Je ne me contentais pas de classer, je lisais aussi… C’est donc ainsi que j’ai découvert que Pacha Bensimon – du même âge que le mien – avait un salaire de 10.000 Francs en tant que rédactrice conceptrice alors que le mien était d’environ 900 Francs.

Jean Cailloux, mort de rire devant ma surprise, Jean Cailloux prit le temps de m’expliquer ce qu’était le service Création de Publicis Conseil, le cœur et l’âme de l’agence.

Ma mission d’intérim se terminait et je devais intégrer Sélection Readers Digest.

Il me proposa donc un marché : j’essayais pendant une semaine ma nouvelle place… Si je m’y trouvais bien : tant pis pour lui… Si je m’y trouvais mal il m’offrait un poste d’assistante auprès de lui.

J’entends encore la réflexion de mon Langellier dans le bus 52 qui nous ramenait à la maison : « Et bien le roi n’est pas ton cousin !!! »

Je suis restée 3 jours boulevard Saint Germain…

Et j’ai choisi de bosser à l’Etoile sans aucun état d’âme.

Bien sûr que j’ai quelques anecdotes savoureuses sur cette jolie période de ma vie…

En juillet 1971, j’épousais mon fiancé.

Après un mois de voyage de noces je revenais à ma place.

Le service du personnel était désert.

Mon téléphone sonna : « Je suis Marcel Bleustein Blanchet et je vais venir vous féliciter de votre mariage… »

J’étais si incrédule et si surprise que ma réponse jaillit immédiatement : «  Jean Michel ça suffit, c’est pas drôle.. »

Le responsable de la photocopie me faisait en effet une cour pressante et il était très drôle…

Quelle ne fut pas ma surprise quand je vis Marcel Bleustein Blanchet lui-même entrer dans mon bureau !!! Et me féliciter... Avec son délicieux petit cheveu sur la langue...

Je croisais souvent Maurice Levy. Qui était alors Directeur des services informatiques.

Il me demandait régulièrement « Vous êtes juive de Casablanca, n’est-ce pas ? » Et je répondais tout aussi régulièrement « Je suis descendante d’un bougnat, un auvergnat de Boulogne sur Seine. »

Un bel homme. Lui aussi. Un tantinet bohème. Avec les cheveux longs.

Nous gérions donc  750 dossiers de collaborateurs dans notre service : les augmentations, les absences, les lettres d’embauches, les lettres de licenciements, etc…

En octobre 1971 se déclara la plus grande grève de transports que Paris n’ait jamais connue.

J’habitais Place Monge et – parce que le boulot c’est le boulot – j’entrepris d’aller au travail à pied ou en stop, selon.

Un matin je suis arrivée hilare parce que le conducteur qui m’avait prise en stop m’avait comparée à Albertine Sarrazin – l’auteur du roman « L’astragale ».

Et m’avait filé rendez-vous au Drugstore pour me ramener le soir.

Cette histoire ne plut ni à mon directeur. Ni à Grapotte, son chef de service.

André Grapotte agita les fiches des 750 collaborateurs pour (dans le texte) « trouver un voisin honnête père de famille » qui puisse me véhiculer.

Le hasard ( ???) tomba sur Serge De Filippi. Qui habitait rue de la Clef à deux pas de chez moi.

Amusé, il avait accepté. Mais souhaitait me voir pour me reconnaître le lendemain matin.

J’ai débarqué devant lui  alors que – entouré d’une pléiade d’assistants – les deux boots santiags sur le bureau, il m’interpella.

J’étais colère et humiliée… Comme seule je sais l’être…

Et pour notre première rencontre, le lendemain matin, j’avais fait fort sur le look. Mais j’étais bien peu aimable…

Et puis…

Et puis, on connait la suite...

Serge a fait de moi en partie ce que je suis et ce que je sais, en m’enseignant la peinture, oui bien sûr… Surtout celle du Quatro Cento italien et des Préraphaélites..

Mais aussi le jazz… Les voyages… Et le grand rêve américain.

Fin septembre 1972 se déclara l’incendie qui devait ravager l’agence Publicis Conseil de fond en comble…

Et aussi et surtout réduire en poussière tous les dossiers des 750 collaborateurs.

Au lendemain de l’incendie – on me voit encore sur la vidéo – je me suis assise au Pub à côté de l’agence, et, avec les autres collaboratrices du service nous avons noté les noms et adresses des collaborateurs. Aucun ne manquait à l’appel.

Serge De Filippi a réalisé une très belle toile de cet incendie. Toile qui lui a été achetée par Marcel Bleustein Blanchet.

Maurice Levy, lui, s’était distingué… Il était retourné dans l’agence en flammes pour en sortir ses fichiers informatiques. C’est ainsi que commence une grande, longue et riche carrière !

Quant à Chouket – qui était de toutes mes aventures – elle avait accepté, pistonnée par Jean Cailloux,  un job de vendeuse en bijouterie de nuit au Drugstore. Alors  elle, elle peut dire qu’elle a vécu l’incendie en direct !!!

C'est elle qui, un peu chamboulée, raconta à mes parents : "Berthe n'a plus de bureau !!!"

Je suis restée pendant 7 ans (7 ans de réflexion ???) l’assistante de Jean. Et un beau jour…

Dans mes fonctions au sein du service du personnel, je devais organiser les stages pour les élèves des Grandes Ecoles (c’est ainsi que je devais faire la connaissance de Françoise Gaspard, énarque et future maire de Dreux) et aussi les stages pour les nouveaux cadres supérieurs.

Et voilà que l’été 1978, Jean-Pierre Arnoux débarqua dans mon bureau….

Comment dire ?

Je le trouvais prétentieux…

Mais j’avais zappé un caractère pourtant évident : il était d’une beauté renversante. Un remake de Clark Gable. Parfumé au vétiver. Et fumant de gros cigares.

Toutes les collaboratrices de Publicis bavaient devant lui… Et moi j’étais juste très pro, limite exaspérée. Suivant son stage d’initiation avec beaucoup d’intérêt. Un point c’est tout.

Je devais aussi, dans mes fonctions,  lui recruter une assistante.

Comme il était dans mon bureau, j’en profitais pour lui demander les capacités requises pour ce recrutement. Qui s’annonçait difficile.

Je le vois encore. Il me tournait le dos. Regardait par la fenêtre. Puis fit volte-face.

« La seule assistante que je veux c’est vous. Et Maurice Levy ne me le refusera pas… »

J’étais statufiée. Partagée entre la joie d’avoir été remarquée par un tel homme et par le mépris de me sentir comme un pot de confiture qu’on déplace d’une étagère à l’autre.

« Impossible… Jean ne me laissera pas partir… »

Il s’est assis. Il m’a décrit le poste : 13 agences constituaient à l’époque Publicis Regions. De gros budgets tels Renault ou Les Opticiens Krys étaient décentralisés. Les agences de province manageaient aussi des budgets locaux moins prestigieux.

Mon rôle aurait été, avec lui, de coordonner tout ce petit monde. D’organiser ponctuellement des séminaires de motivation, etc…

A sa description, je n’ai plus hésité…

Jean a dû s’incliner. Non sans regrets…

Dans les séminaires que j’ai organisés avec Jean-Pierre me reviennent à la mémoire deux d’entre eux : un en Camargue pour fusionner deux agences lyonnaises : notre agence sur place et une agence locale – à gros budgets – que Maurice Levy venait de racheter. Et un autre à Deauville...

Pour le séminaire avec les lyonnais, j’avais  échappé de justesse à un voyage en avion Paris/Lyon avec Jacques Lowy. Le directeur de la nouvelle agence lyonnaise. Il avait insisté... Mais Jean-Pierre souhaitait que je descende en voiture avec lui.

J’ai donc dû organiser ce  séminaire en Camargue avec le personnel des deux agences… Pour fusionner…

Oui, oui, quatre jours en Camargue…

Jacques Lowy était un étrange personnage. Charmeur, facétieux, bourré d'humour. Mais aussi « très lyonnais ». Et en conséquence très méfiant à l'égard du parisianisme ambiant à Publicis Conseil.

Quand nous sommes remontés de Camargue… Il a fait arrêter Place Bellecour  le car où je me trouvais… Il m’a fait descendre. Et visiter son agence Edico en tête à tête seule avec lui. Il était 23 heures. Et pendant ce temps-là le car entier patientait…

Grandeur et décadence d’une assistante de grand patron…

Jacques devait rapidement s'essayer à rouler Maurice Levy. Car, furieux d'avoir été racheté, il créa en lousdé sa propre agence "Gabrielle". Où il tenta de transporter tous ses budgets. Au nez et à la barbe de Publicis Conseil ! 

Mais Jean-Pierre veillait... Et Maurice ne s'en laissait pas conter !

J’ai encore à la mémoire le séminaire que je devais organiser au Normandy Hotel de Deauville. 60 personnes. Pour le budget Renault.

Pas question de jeter l’argent par les fenêtres avec Maurice Levy…

Un jour où il me demandait où j’en étais du montant de mon budget, j’eus l’étourderie de lui répondre : « Je pense que… » La réponse ne se fit pas attendre « Vous pensez ou vous êtes sûre ??? »

Je me souviens du vendredi soir au Normandy Hotel. Une soirée en boîte avait été prévue. Au Regine’s. Nous avions, juste avant, un genre de dîner de gala…

Maurice Levy me fit appeler. Et me balança immédiatement son souhait : « Ce soir, je veux toutes les femmes à ma table… Débrouillez-vous !!! »

Il y eut des pleurs et des grincements de dents… Mais toutes, nous étions toutes à sa table…

Les hommes avaient fini de dîner plus tôt que nous et ils nous attendaient pour aller en boîte…

Après coup, cela m’a beaucoup amusée, je dois le reconnaître…

Je devais partir de Publicis Conseil d’une façon très étrange… Destin quand tu es écrit…

Un nouveau directeur venait d’être recruté sur Lyon. Jean-Pierre était en déplacement. Il m’avait demandé d’écrire la note de notification à tous les bureaux de Province.

Comme il était pressé, il me demanda de signer « pour ordre ». Avec une copie à Maurice Levy.

A peine la note envoyée, Je recevais un coup de fil furibond de Levy qui me stipulait mon licenciement. « Une assistante n’est pas habilitée à la nomination des directeurs d’agence ». Il avait parfaitement raison, à une exception près mais de taille : j’avais agi sur ordre.

Jean-Pierre remonta dare-dare de sa province… Il avait réussi à calmer le courroux de Maurice Levy. Mais il me dit tout de suite de ne pas m’attendre à des excuses…

Et pourtant… Et pourtant excuses il y eut !!

Oui, vous lisez bien : Maurice Levy s’est excusé.

Mais moi je savais…

J'avais compris...

J'avais compris que la suite ne serait pas un paradis…

Alors j’ai demandé mes indemnités (10 ans de maison, quand même) et je suis partie…

Histoire d’aller voir ailleurs….

D'aller voir ailleurs si on pouvait avoir encore besoin de moi.

Liliane Langellier

Serge De Filippi. L'incendie de Publicis Conseil.

Serge De Filippi. L'incendie de Publicis Conseil.

Publicis Conseil. Lendemain d'incendie. Christian Brincourt et Bernard Völker.

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L
16 décembre... Jean-Pierre Arnoux vient juste de m'appeler. Après la lecture de mon billet...<br /> Il a toujours une aussi jolie voix... <br /> Et il continue de se parfumer au vétiver...<br /> Il travaille toujours dans sa galerie rue Guénégaud. En face de La Palette...<br /> J'irai déjeuner avec lui un jour ou l'autre...
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L
L'incontestable petit plus... C'est qu'aux obsèques de ma Jeannette fin mai 1999, Jean Cailloux était présent...
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