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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

J'ai retrouvé Paul, le mari de Tante Jeanne !

De Paul Gillard je ne connaissais qu'un médaillon sur une tombe vide. Au cimetière de Chaudon. Et un nom gravé sur le monument aux morts. Depuis hier, l'homme est devenu de chair. Cette nuit, j'ai lu les atroces combats du Fort de Vaux, début juin 1916. "Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous." écrivait Paul Eluard. Aujourd'hui, j'avais rendez-vous avec Eugène Paul Gillard...

Ce sont des récits émaillés de mots compliqués. Qui vous marquent quand vous êtes une toute petite fille...

Quand Auguste Courtois a vu sa santé diminuer, en homme avisé, il a conseillé à son épouse, Louise Chandebois, d'aménager un studio dans leur vaste grenier de Chaudon. Pour que sa soeur Jeanne vienne définitivement y habiter.

Jusqu'à présent, nous nous contentions de planquer des conserves et autres aliments. Et mon paternel emmenait Louise ravitailler en lousdé sa soeur - qui vivait dans des conditions plus que précaires - à Marsauceux. Près de Dreux.

C'est donc à la mort d'Auguste, et à mes 15 ans que j'ai fait plus ample connaissance avec "Tante Jeanne". Un phénomène ! Toujours habillée de noir. Car veuve de guerre. Et n'ayant quitté l'Eure-et-Loir que pour aller à Douaumont. Où devaient se trouver les restes de son jeune mari. Mais surtout, surtout, parlant un patois beauceron dont les mots sont encore du miel dans ma bouche. Et des fous rires dans ma tête.

Je vous offre un bouquet d'expressions très colorées qui ravissaient la petite pensionnaire parisienne :

"Ah ben don, celle-là, j'l'aime comme un clou à ma fesse."

"J'va lui offrir un pti rien tout neuf emmanché dans la dent d'une poule."

"Ces guindrelles-là, avec leur musique, elles tapent de la patte arrière comme les mâles lapins au clapier."

"Ces gueuses, ça pense qu'à exciter l'mâle. Et après ça vient pleurer. Chauffe un marron, tu l'fais péter !"

Me voyant me bronzer : "Tu vas ben finir cuite et ratacuite !"

Inutile de vous dire que Louise voyait mes fous rires d'un très mauvais oeil. Et pensait que sa chère soeur allait bousiller une éducation qui avait coûté si cher à mes parents.

Jeanne n'avait pas l'eau courante dans sa soupente. Et elle descendait - comme avant - à la pompe de la cave tirer son eau plusieurs fois par jour. Elle oubliait parfois un peu de se laver. Je me souviens d'une réflexion de mon géniteur : "Et bien, Tante Jeanne, vous êtes tombée dans le charbon ?" Parce que du charbon, elle en charriait. Pour se chauffer...

Maman, elle, comme toujours, était plus indulgente : "Jeanne a été fiancée 7 ans à Paul. Ils se sont mariés en avril 1914. Il est parti en août. Elle ne l'a jamais revu."

J'ai vérifié aux archives. Parce que, parfois, ce qui se dit dans les familles...

Ils se sont bien mariés à Chaudon le 11 avril 1914.

Paul, né le 2 août 1890, avait 23 ans. Classe 1910, il avait bien effectué son service militaire au 146ème Régiment d'Infanterie du 7 octobre 1911 au 8 novembre 1913. Et, particularité amusante, était clairon depuis le 28 septembre 1912.

Quant à Jeanne, la dernière des 4 filles de Marie-Julienne Chandebois, née le 7 décembre 1891, elle avait, elle, 22 ans. Suivirent encore 2 garçons plus tard : Maurice (Classe 1916) et Gabriel (Classe 1918).

En 1916, le 101e Régiment d'Infanterie - que Paul a intégré - est au Mont têtu en Champagne de janvier à avril. Puis c'est la bataille de Verdun en mai/juin. Hardaumont. Etang de Vaux. Tavannes.

La description des combats au Fort de Vaux est apocalyptique !

Et c'est là, dans le secteur de Tavannes, que Paul est tué à l'ennemi le 4 juin 1916.

En compulsant les documents d'archives, je m'étonne que ce soit la mère de Paul, Mme Veuve Lefevre-Lhomme, qui soit allée reconnaître son corps le 4 juin 1932....

Et puis soudain, je me souviens. Un prénom me revient en mémoire : "Henry". Jeanne l'avait épousé le 16 mai 1925. Mais le mariage avait été malheureux. Et le divorce prononcé.

Je comprends mieux cet attachement à ce premier amour. A ce premier homme.

L'histoire de Tante Jeanne m'a toujours pincé le coeur. Et puis, pour tout vous dire, quand je suis devenue veuve, bien jeunette moi aussi, c'est d'abord à elle que j'ai pensé.

Liliane Langellier

Paul Gillard. Registre Matricule. Tome 1. N° 138.

Paul Gillard. Registre Matricule. Tome 1. N° 138.

J'ai retrouvé Paul, le mari de Tante Jeanne !
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A
Vous me touchez toujours...J'envie votre monde.
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