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29 Août 2014
Gérard... Je l'ai connu dans une autre vie... Et sous d'autres cieux... Mais il était déjà raide dingue de l'écrivain Colette. Je l'étais aussi. Il a continué dans sa voie. Car il est l'homme d'une seule femme... Ce que je ne suis pas !
J'ai choisi un blog canadien pour nous parler de cette biographie. Car, je peux bien vous l'avouer, juste après (ou juste avant) les Bretons, ce sont les Canadiens qui me font craquer. Surtout leur accent. Et leurs mots qui sentent bon les feuilles d'érables en automne. Et leur gentillesse. Et....
Quand on s’y arrête deux minutes, la lecture d’un ouvrage – quel qu’il soit – a ça d’un peu étrange qu’on fait sien, en quelques heures, un travail de longs mois, parfois de plusieurs années. Nous naviguons sur le long fleuve tranquille du livre fini, en étapes par nous seul choisies, sans bras morts, sans barrage, sans cataracte vertigineuse, assurés d’être portés jusqu’à la dernière page. Reste que ce cours d’eau, l’auteur a mis pour le creuser, le remplir, un temps sans commune mesure avec celui de notre navigation.
À ce raccourci temporel un peu injuste (pour l’auteur), la biographie en ajoute un autre, du même ordre, puisqu’elle prétend raconter une vie, une vie entière, en quelques centaines de pages. Plusieurs dizaines d’années de vie au départ, hop ! quelques jours de lecture à l’arrivée.
On sait par ailleurs que l’auteur nous apparaîtra d’autant plus talentueux et son livre d’autant meilleur que rien ne nous sera sensible de ses difficultés ou, pour continuer de filer la métaphore fluviale, sans que rien ne reste de ses nombreux coups de pioche et sans que l’eau qui nous porte n’ait le goût de sueur ni de larmes.
À ces défis – comme si ce n’était pas encore assez – Gérard Bonal en ajoute plusieurs autres pour écrire son « Colette ». C’est sa biographie s’ajoutant à une bonne demi-douzaine d’autres et je ne compte que celles trouvées vite fait sur n’importe quelle librairie en ligne où n’apparaît aucun travail universitaire. De plus, c’est un livre sur une romancière, chroniqueuse, journaliste, critique, auteur dramatique, scénariste, épistolière… À se demander s’il reste un genre littéraire dans lequel elle n’ait pas réussi magnifiquement. C’est donc un livre sur une femme écrivant des livres, puisant d’ailleurs largement dans sa propre biographie. Tu vois l’écueil ? On ne peut pas être trop en dessous d’elle, on ne peut prétendre être au-dessus. Restait à côté. Mais ni trop loin, ni trop près.
C’est cette juste distance, trouvée, gardée, maîtrisée, qui me rend infiniment attachante la biographie de Colette écrite par Gérard Bonal. D’autant que, ultime défi, je soupçonne fort l’auteur d’être raide dingue de Colette, or il parait que l’amour rend aveugle. Ici, c’est exactement le contraire. C’est donc un livre d’amour, comme il existe des lettres d’amour – Colette en a écrit un bon paquet – mais c’est ici un attachement fait de milles attentions, d’infinie patience et d’un immense respect, y compris envers les autres biographes, essayistes, chercheurs déjà penchés sur le « cas » Colette.
Avec les éléments méticuleusement collectés par Gérard Bonal, on pourrait sans difficulté dresser un portrait de Colette très noir, du même noir dont elle soulignait ses yeux. Sans entrer dans le détail – où serait le charme de la découverte sinon ? – disons qu’elle ne s’est pas interdit grand-chose. Le biographe sous-titre d’ailleurs son ouvrage d’un : « Je veux faire ce que je veux » tout à fait à propos. Elle a collectionné les scandales et les sulfures. Mais peut-être la véracité même de ce qui nous est rapporté par Gérard Bonal donne-t-elle la mesure de son attachement à Colette ? Je m’explique. Ce qui étonne, séduit puis ébloui à lire Colette et qui signe pour moi son génie, c’est l’inexplicable disproportion entre le peu de moyens semble-t-il à l’œuvre et l’impression produite. Ses mots, on croyait les connaître, mais elle en fait du jamais vu, du jamais lu, qui touche simplement, terriblement. C’est donc en confiance que Gérard Bonal ne fait pas l’économie du sordide, du mesquin, du malsain, il sait la capacité de Colette de transformer ce plomb en or (également en argent, d’ailleurs), elle s’est assez battu pour ça. Il veut croire que cet or là, celui de l’œuvre, rien de ce qu’à vécu son auteur ne pourra jamais le ternir. Je le crois volontiers avec lui.
Encore deux anecdotes et un remerciement, je peux ? Pour les anecdotes, je connaissais l’une et j’ai découvert avec ravissement l’autre dans le livre de Gérard Bonal. Connu : le « système Willy » J’adore positivement cette histoire d’écrivain n’écrivant pas. Je rêve de ça. Je ne dois pas être le seul : on connaît les tentatives (tout à fait réussies d’ailleurs) de générateurs automatiques de texte. Voir les travaux de Jean-Pierre Balpe sur cette question. Le « système Willy » ne devait rien à l’informatique mais consistait « simplement » à demander trois lignes d’intrigue à l’un, puis à les transmettre au suivant en le priant d’étoffer un peu, puis à un autre pour, j’imagine, doper les dialogues par exemple et l’on peut extrapoler comme ça une « chaîne » de production littéraire le long de laquelle chacun serait chargé, je ne sais pas moi, des décors, des costumes, des scènes d’amour… tu vois le truc ? Bon, ok, pour Willy, c’était un peu crapuleux vu qu’à l’arrivée, il signait de son seul nom, mais ça interroge la notion même d’auteur d’une façon très moderne, je trouve.
L’autre anecdote, ahurissante, est à situer dans le cadre plus large de la prédestination, autrement dit de la recherche, dans l’entourage, la famille, la généalogie des artistes, de quoi fonder le « Ah ben oui ! Forcément… » qui n’explique absolument rien mais rassure sur le fait que les chiens ne font pas des chats et que la pomme ne tombe jamais très loin du pommier. Sauf qu’à chercher dans les proches de Colette ceusses qui auraient eu des velléités d’écriture, on trouve. On trouve Sido, sa mère dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle maniait la plume pour écrire à sa fille et on trouve son père qui – on croit rêver – faisait relier pleine peau, titres au fer à dorer, d’épais volumes DE PAPIER BLANC, dans lesquels il projetait, un jour, d’écrire les livres en question ! Mouhahaha ! J’adore également cette histoire, qui, tiens ? interroge également la notion d’auteur, mais d’une autre façon.